26 mai 1957

• Je n'ai pas assez de tact. Je heurte encore les gens sans le vouloir. Je dois apprendre à ne pas insister, être plus discrète. Je suis pleine d’inhibitions. Est-ce bien ? Je ne crois pas. Si tout le monde faisait ce qu'il voulait, que deviendrait la soi-disant civilisation ? on retournerait alors à l’âge de pierre.

Aujourd'hui j'ai fait la connaissance d’Etienne S. cousin de maman. Nous avons eu une longue conversation très intéressante et agréable. Entre autres, j’ai laissé échapper que je tiens un journal depuis l’âge de dix ans, il m'a encouragée à ne pas m'arrêter, surtout continuer mon journal.

Nous avons parlé de choses intéressantes (c’est un très bon causeur.) Par exemple, nous avons discuté des différences et ressemblances entre les générations, (il a 40 ans, presque l'âge de maman donc une génération de plus que moi) et des relations entre enfants et parents. Est-ce qu’il m’arrivera un jour d’oublier ma jeunesse au point de demander à mes enfants qu'ils apprennent des choses par cœur ? Arriverai-je être leur amie ? Je viens de réaliser à quel point il converse bien : il me semblait que nous avions parlé de choses passionnantes, et en réalité, rien de nouveau, seulement je les vois un peu plus clairement.

• Jamais encore autant de garçons ne se sont intéressés à moi. Ce sera long d’écrire le nom de tous ceux qui veulent devenir "mon ami" ou plutôt qui ont commencé à me courtiser. J’ai déjà appris à ne pas les faire fuir tout de suite. Bien sûr, c'est difficile de s'occuper de plus d’un à la fois, surtout que je ne sais pas encore comment me comporter, même avec un seul. C'est plus facile avec plusieurs, mais c’est quand même mieux quand tu ES avec un, vraiment.

J’ai maintenant l’impression, et c’est un sentiment très agréable, que je n’ai qu’à bouger le petit doigt pour que vienne l'un ou l'autre. Je me trompe peut-être, mais enfin, je le crois. Que c'est bon !

J'ai passé une magnifique journée !

Je me suis reposée ; j'ai plu à Etienne (bonne réclame pour Kolozsvàr), Bandi, Michel, puis Simon m’ont appelée, Eugène m’a rendu visite. Il commence à ressembler un petit peu déjà à un chien battu (j'exagère un peu, mais c'est si agréable.) Édith est passée aussi. J'ai lu un intéressant roman policier tout en écoutant des valses, tangos et opérettes. C’est quand même agréable l’amour. Une chanson d'opérette de Strauss comme si elle caressait mon cœur, j’ai envie d’éclater – mais agréablement.

Il serait bon d’avoir un mari aussi sympathique et intelligent qu’Etienne, (bien sûr 10 ans de moins.) Il pourrait avoir des défauts graves que je n’ai pas encore vus. D'un coup je me suis rappelée Alina, que fait-elle ? J'aurais dû lui téléphoner, trop tard. Bonne nuit !

Je suis quelqu’un de très - comment le dire ? - réfléchi. J'essaie toujours de comprendre ce qui va se passer après, ainsi je suis souvent prudente, froide. Pour dire mieux, c'est pour cela que je ne fais pas souvent de grosses bêtises. Il se peut que je regrette un jour d’avoir été si retenue, de n’avoir pas laissé davantage de place à mes sensations, mes “instincts”, mais pour le moment je ne le regrette pas. Je constate que le respect est bon quand même, par exemple, vis-à-vis de Simon. Jamais on ne parlera de moi ainsi : “vaut-elle la peine qu'on perde une nuit avec elle ?” Ils ne le feront pas !

Et ma résolution de ne jamais flirter avec un homme marié est bonne, elle aussi, pas à cause des raisons morales (ne pas abîmer son mariage), pour cela aussi, mais surtout parce qu’en réalité, il aimera et respectera finalement sa femme. Toi, au maximum, pour un moment.

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