Mourir en arrivant en France... à l'hôpital?

Comment aller à Lyon : cent kilomètres ?
— Sandou, viens avec moi !
— Je ne peux pas, j'ai du travail.

Justement, la fille de la patronne allait à Lyon, elle s’est proposée de m’y emmener, il y avait de la place dans sa voiture. La voiture, la route m’a fort secoué, j’avais de plus en plus mal. Elle me laissa, devant le docteur.

Pendant l’auscultation, un gros caillou de sang coagulé est sorti.
— C’est fini, il n’y a plus rien à faire pour le sauver.
— J’ai déjà compris cela. Faites-moi un curetage. Il faut le nettoyer maintenant.
— Je ne peux pas. On va dire que je vous ai avorté. Je suis médecin chef. Je ne peux pas me permettre.
— Vous êtes gynécologue et c’est fini, vous avez dit vous mêmes.
— Allez à l’hôpital. Ne leur dites pas que vous êtes passé par ici, ils pourront croire, n’importe qui. Me faire tort.
— A l’hôpital ?
— Là, on va s’occuper de vous. Ici, je ne peux rien pour vous.
— Vous venez, là-bas ? Le faire ?
— Pas ce soir, demain. Mais entre-temps, ils vous prendront en main, il feront tout qui est nécessaire, eux, là-bas, à l’urgence.

Vite à l'hôpital !

J’ai pris un taxi avec mon dernier argent, après avoir payé le docteur, sans qu’il fasse rien. J’ai saigné, de plus en plus abondamment.

On m’a pris à l’urgence, en voyant ma jupe ensanglantée.
— Que faites-vous ? je leur ai demandé.
— Que faites-vous ? je leur ai demandé.
Je n’arrivais pas à le croire. Ils ont commencé à me bourrer de coton hydrophile.
— C’est pour absorber le sang. Nous allons l’arrêter. Sauver le bébé.
— Quel bébé ? C’est trop tard pour lui. Sauvez-moi !
— Nous allons essayer, quand même.

Comme je protestais, et je demandais un docteur et qu’on me nettoie, qu’on en finisse, qu’on ne me laisse pas perdre mon sang ainsi, bêtement, un interne est venu et il m’a donné une piqûre pour me calmer. Je suis devenue calme, au moins je n’avais plus de force pour crier. Le coton a absorbé tout le sans qu’il pût, puis le sang a commencé à goutter de nouveau. J’étais devenue calme mais pas inconsciente.

— Vous me laissez mourir, je resterai sans sang, vous voyez que ça ne marche pas votre méthode ! Appelez le médecin chef, il vous le dira, et même le docteur de mon village m’avait dit, l’embryon était mort depuis des jours. Si vous ne me soignez pas, je ne passerai pas la nuit !
— A l'aide ! À l’aide ! Vous n'allez pas me laisser saigner à mort.
— Peut-être le sang s'arrêtera et l’on arrivera à sauver le bébé.
— Sauvez-MOI !

Ils m'ont laissés saigner toute la nuit.

Ils ont finalement pris peur et ont téléphoné au médecin chef : le spécialiste qui m’avait envoyé là-bas.

Le médecin chef a dû les convaincre, mais à cause du calment qu’ils m’avaient administré, il ne pouvait pas anesthésier, m’endormir jusqu’à six heures du matin. Il fallait attendre que l’effet du calmant se passe.

C’était la nuit le plus effroyable de ma vie. Je n’étais pas sure que j’arriverais à vivre jusqu’au matin. Le sang continuait à s’écouler, je sentais mes forces diminuer. De temps en temps, l’infirmier venait me changer le coton. J’étais épuisée et je luttais, seule, contre tous, mais c’était ma vie en jeu.

Le matin, ils m’ont endormi. J’ai sombré dans l’inconscience, heureuse.

Réveillée, à neuves heures de matin, dans une grande salle avec des nombreux lits. Une religieuse avec un visage sévère se pencha sur moi :
— Vous êtes réveillé trop tard pour le petit-déjeuner, il a été déjà servi.
— Un peu d’eau...
— Attendez.
— Un peu d’eau...
— Vous êtes une criminelle. Taisez-vous. Ayez honte.
— Quoi ?
— Et encore elle ose répondre, a des prétentions.

J’ai attendu, longtemps.

Mais je vivais.

Comment suis-je devenu « criminelle » ? Que voulait-elle dire ? Comprenais-je mal la langue française ? On me l’a expliqué, plus tard. « La bonne sœur » était persuadée que j’avais tué exprès mon futur enfant. C’était considéré cela un pêché majeur. Que faisait cette « bonne sœur » entre toutes ces femmes malheureuses, souffrantes ? Pourquoi l’a t on laissé dans cette service-là ? Elle devait aider, pas les culpabiliser, les punir. Offrir d’eau, de confort, de l’espérance, les aider à guérir. Les docteurs sauver les femmes, pas s’acharner à sauver un embryon en morceau, à cause des lois barbares, des croyances et habitudes ancestrales.
Avorter, était légale et moralement admis en Roumanie avant l’arrivé de madame Ceusescu au pouvoir (après elle fit mourir des dizaine milliers des femmes d’infection en donnant vie aux enfant non désirés, ne sachant pas aussitôt comment faire pour ne pas les avoir). L’avortement et les moyen de contraception divers était libres aussi en Israël, partout où j’avais vécu auparavant : je n’arrivais pas à comprendre.

Ici, même parler de contraception était considéré un pêché !

Une patiente qui était là depuis plusieurs jours m’a apporté de l’eau.

— Je l’ai fait avec des aiguilles de tricot.
— Avec des aiguilles ?
— Je ne veux plus d’enfants, j’en ai déjà beaucoup trop. Sept. Et vous ?
— Je ne savais pas que j’étais enceinte, j’ai porté une lourde valise.
— Ha !
— Dans le pays d’où je viens, si on ne veut pas d’enfant, on va au gynécologue et il vous fait avorter proprement. Sans douleur, dans une heure, propre, net, fini. Cela m’était déjà arrivé quand mon mari ne voulait pas d’enfant encore, mais cette fois-ci, je l’aurais gardé volontiers, si j’aurais su que j’étais enceinte. Je voudrais tant un fils à côté de ma fille !

La “bonne sœur” a dû entendre nos discussions. Elle me traita comme une criminelle pendant trois jours de mon séjour dans l’hôpital. Elle avait le même uniforme que les vraies bonnes sœurs, celles qui ont pris ma fille avec énorme bonneté dans la maternelle à notre arrivé dans le pays sans demander sa religion. Combien des femmes sont-elles restées à l'époque mortes ou malades à vie ? ! Dans cette France libre, tout n’était pas paradis...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Julie, je vous lis depuis le début. Je suis fascinée, car votre histoire est de la "vraie vie" - c'est un trésor à lire. C'est très généreux de votre part de partager, surtout ces périodes à venir où votre mémoire jouera beaucoup, à défaut de vos journaux.

Merci de votre partage. C'est intéressant, c'est enrichissant. J'en suis déjà à me croiser les doigts que votre mari n'ait été pas si terrible à votre endroit que vos écrits ne le laissent croire... c'est vraiment comme si vous jetiez un roman à nos pieds.

Vous connaissez la suite... pas nous. Excellent build up :).

coyote des neiges a dit…

En lisant ce récit, j'espère que la société ne reviendra jamais en arrière! On voit le danger des actuels mouvements Pro-Vie avec leurs méthodes terroristes, qui voudraient bien recriminaliser l'avortement.