L'ami de mon mari

"L’ami de mon mari" : Fan
Souvenirs

Son vrai nom était Stéphane, mais tous l’appelaient Fan. Grand maigre blond, visage angulaire, il m’était présenté comme le meilleur ami de Sandou. Il devait être un bon copain puisque Sandou lui demanda de nous prêter son pied-à-terre dans la capitale pour nos rendez-vous.
Sandou et moi aussi vivions chez nos parents et à l’époque et avec nos parents d’ancien éducation il n’était pas question de faire l’amour chez nous, même d’enfermer ma chambre à clé. A n’importe quel moment, surtout quand elle savait qu’il y avait quelqu’un en visite, elle entra pour demander quelque chose. Sandou n’avait même pas ce luxe, une pièce à lui, il dormait dans le salon, devant la chambre de ses parents.

Il me fallut longtemps pour me décider à « sauter le pas », à l’époque être vierge signifiait encore quelque chose mais j’étais en détresse et Sandou avait eu patience infinie à me conquérir, une année entière il m’approcha lentement, de plus en plus.

C’était le printemps, il m’a emmené dans la forêt, cueillir des fleurs. Là, toute habillée, toute contre lui, pendant qu’il m’embrassait, j’ai joui, et je me suis décidée. Mais aller où ?
Alors Sandou m’a parlé de Fan et son studio en haut des escaliers. C’était un paradis pour nous, même cette petite pièce simple qui n’avait qu’un évier, un fauteuil, une armoire à glace et un lit d’une personne. Et une petite table basse.

Sandou s’est assis sur le lit et moi je me suis recroquevillé dans le fauteuil. Ainsi a commencé, tout, et c'est ainsi que j’ai entendu parlé la première fois de Fan.

Longtemps, j’ai eu honte de le rencontrer, il savait... Il savait même les jours, les heures quand nous... Mais un soir, nous avons trop tardé, trop fait l’amour et il n’avait plus envie de rester dehors, il a frappé à la porte.

Sandou a ouvert et je me suis cachée sous les couverture, honteuse. Il me l’a présenté. Fan avait un visage ouvert, sympathique et naturel et n’avait pas ce sourire rigolant dessus que j’avais craint. Je n’avais plus honte. Ils sont sortis fumer et je me suis vite habillée, j’ai arrangé mes cheveux. Ensuite, nous avons bu ensemble un café que Fan nous a préparé sur son petit réseau électrique caché, il n’avait pas le droit de cuisiner dans le logement.

C’est alors que j’ai découvert qu’il était hongrois, il avait un accent plaisant paysan. Mais ce soir-là, nous n’avons pas parlé hongrois, il m’avait seulement dit « Jo északàt » (bon nuit). Il était technicien chimiste comme moi, à l’époque mais avait comme Sandou abandonné ses études que je continuais encore.

Jamais Sandou ne m’a raconté comment ils se sont rencontrés, l’un grand et mince, venant d’un village hongrois et l’autre petit, rond et musclé, d’origine mi roumain, mi grec, ayant passé tout sa vie dans la capitale roumain.

Après notre rencontre, j’hésitais d’y aller mais que faire ? Plus tard, nous nous sommes fiancés, mariés. Au repas de mariage, le soir, nous avons invité seulement deux personnes : Fan et Alina, nos meilleurs amis.

Une année plus tard, nous avons marié Fan à la compagne, il a trouvé une hongroise piquante d'une petite ville. Puis je suis partie, Sandou m’a suivi.

Cinq ans plus tard Fan nous téléphone un jour : « Je suis à Ventimiglia, venez me chercher ! » Il avait fuit la Roumanie, seul. Il avait traversé les frontières dans la forêt, la montagne et pour ne pas être rapatrié, il avait déchiré tous ses papiers, tous.

Sandou est allé en voiture et l’a ramené chez nous.

À l'époque, nous habitions dans un village, collée à une petite ville de nord de France au milieu de champs de betteraves et des canaux, en brouillard presque tout le temps. J’ai lui ai trouvé de travail dans la fabrique où je travaillais et où le patron, d’origine allemand, comprenait bien les réfugiés de l’est. « Mais je ne peux pas l’employer sans papiers, faites-lui faire. Je peux seulement lui donner une promesse d’engagement. »

Des papiers ? où ? à la mairie du village, on m’a conseillé d’aller voir l’instituteur, le secrétaire du maire. Il était assez jeune, mince, il avait un visage sévère. Nous l’observions tremblant à côté de son bureau à travers la fenêtre.
— Je n’entre pas ! Ils vont m’arrêter, me dit Fan tout blanc.
— Pas aujourd’hui. Et s’il fallait vraiment, tu auras le temps de t’enfuir, d’aller à Paris, chez le frère de Sandou.
— Non, je n’entre pas.
L’expérience avec les autorités dans la Roumanie Communiste ne nous donnait pas énormément de courage.
— Tu veux travailler ? T’établir ? Ici, c’est la France, le pays de la liberté, il ne te mangera pas. Viens!

C’était il y a fort longtemps, en 1966 ou 1967.

Nous entrons. Fan parlait fort peu français, c’est moi qui ai expliqué son cas. Il avait besoin d’un permis de travail.
— Où sont ses papiers ?
— Il les a détruits, à la frontière. Avant la frontière.
— Comment est-t-il entré en France ?
— Par les montagnes, d’Italie, se cachant. Mais il a une offre de travail à l’usine, le voilà, ajoutais-je.
— Et pas de papiers ? Du tout ? Rien ?
Le secrétaire nous regardait ébahi. Nous balancions nos têtes, tremblants. D’un coup, il éclata dans un énorme rire qu’il ne pouvait arrêter, il rit, il rit. Ouf, alors ce n’était pas si grave que cela. Je me rappelle encore aujourd'hui, après plusieurs dizaines d'années, combien ce rire m'a laissé ébahie et soulagée aussi.

Finalement, il me demanda :
— Vous le connaissez ?
— Depuis fort longtemps.
— Je veux vous aider. Faites un certificat sur honneur, disant son nom, son date et lieu de naissance.

Quelques mois plus tard, Fan reçu les papiers, il fut engagé et commença a travailler mais avec le temps il se sentait de plus en plus seul. Sa femme, furieuse qu’il ne l’avait prévenu qu’il va s’enfuir, menaça de divorce et finalement elle divorça puisqu’à son travail on lui dit que ils ne vont pas laisser travailler là l’épouse d’un ennemi, enfui à l’occident, un traître.

Avec son premier salaire, Fan parti à Paris, à Pigalle. Il est revenu nez en bas. « Ils m’ont pris tout mon argent. Et pour presque rien. » Mais plus tard, il me raconta en détail ce qui lui était arrivé.

La première et seule fois dans ma vie, j’ai eu le récit d'une visite chez une putain.
« Elle m’a lava, lavé, lavé... frotté avec savon, pour que mon instrument soit propre. Et puis, finalement, en moins de deux minutes, tout était fini. Alors, elle m’a poussé dehors me disant qu’ils y a d’autres qui attendent. Un repas, un spectacle et maintenant je suis obligé de nouveau de te demander à me prêter des sous, jusqu’à mon prochain salaire. Mais on ne me prendra plus. »

Sandou était furieux qu’il m’avait raconté son aventure à moi, sa femme légitime. Je lui rappelai tout qu’on devait à son ami, d’avant.

Malgré tout, Sandou le mit hors de maison et finalement on lui trouva une place près d’usine, où je ne sais pas, j’y suis jamais allé. Je lui prêtai l’argent et il me repaya rapidement, en trois fois. Les rapports entre moi et Fan se resserrait, puisque Sandou était de moins en moins à la maison et j’ai profitais pour donner des leçons de français à Fan de mes livres d’Alliance Français.

Ce fut dans ses temps que je découvris que Sandou avait une amante près de nous, une jeune femme travaillant sous ses ordres.
— Fan, je ne sais plus que penser, probablement je ne suis pas une bonne amante, comment le savoir ? Je n’ai eu personne autre que lui.
D’abord, en ami, il essaya de me persuader « tu te trompes », mais finalement il murmura « s’il n’était pas mon ami ».
— Mais il l’est ! ai-je répondu vite.
On a besoin d’un copain. Et il ne m’attira pas, du tout.

Lentement, il commença à me parler de ses nouveaux copains trouvés dans l’usine et de plus en plus d’un chef de chantier, nommé Pierre, un homme bon, sympa, fantastique, fort seul.
— Seul, pas marié ?
— Il vie séparément depuis huit ans, sa femme l’a trompé. Il n’a pas divorcé, ils sont catholiques, mais c’est tout comme...
— Tout comme ?
— Il vit seul, il a eu plusieurs copines mais il est seul, comme moi aussi, je vais souvent à lui le soir, discuter. Il est sympa !
— Connais-je ce Pierre ?
— Oui, le chef de chantier, tu as du le voir.
— Ah, cet homme bronzé aux cheveux gris courts, drus.
— Oui, c’est lui. Et les yeux bleus, chauds, souriants.

Je me souvenais de ses yeux, souriants, caressants, il m’a regardé quelquefois avec amitié, me faisant sentir bien dans ma peau. Fan lui aurait parlé de moi ? Il me parlait de plus en plus souvent de lui avec chaleur et par contre de Sandou avec amertume. Sandou, son ancien copain le négligeait.

1 commentaire:

camionneuse a dit…

Julie, tu m'as émue jusqu'aux larmes...

J'ai l'impression que je suis entrain de vivre un peu de ce que tu as vécu. Pas les évènements biensûr, mais je me projète à 70 ans et ça me donne envie de vivre la vie encore plus intensément. Je sais qu'un jour je regarderai avec nostalgie les moments que je vis présentement.

J'espère qu'un jour tu retrouveras l'être que tu as tant aimé.