Une histoire de nez

Je ne me souviens pas de... d’avoir remarqué que j’avais un long nez. Toute mon enfance, toute mon adolescence, j’avais honte des taches de rousseur sur le visage, mon corps, mais jamais je n’avais remarqué la longueur de mon nez. Bien sûr, on se regarde dans le miroir de face, pas de profil.

Je ne me souviens pas que la longueur de mon nez m’eût dérangé... jusqu’à mon divorce. Quelques mois avant de nous séparer, mon mari avait fait quelques photos de moi, de profil. Était-ce vraiment moi ? Ce nez ? Ce profil ? Ce visage triste, anguleux !

Je regardais ces photos, tout en songeant que dorénavant personne ne voudrait de moi. Je ne trouverais plus aucun homme à qui plaire. Puis, de nouveau, mon regard tomba sur les photos. Normal, me dis-je, à mon âge et avec ce nez. Et tout.

J’étais sur le point de passer un examen important, pour obtenir un diplôme qui m’aiderait à mieux nourrir mes enfants. Je partis chez mon père, me reposer pour quelques jours avant le contrôle final. Ma tante n'habitait pas loin de là.

Mon père était ravi que je divorçais, il n’avait jamais aimé mon mari mais sa femme, la marâtre était furieuse, elle craignait que mon divorce et mon diplôme ne me rapprochent de mon père et qu’il lui laisse moins. Naïvement, je racontai à ma belle-mère ma solitude, les hommes absents de ma vie, les photos et mon nez. Aussitôt, elle me conseilla, tout miel :

— Aucun problème ! Je connais un bon docteur, il te raccourcira le nez sans douleur, t’en fera un, et bien.

— Mais je ne reste pas longtemps ici.

— Il te prendra, rapidement. Appelle-le, toute suite !

Le rendez-vous fut pris pour le lendemain matin. Quand j’avertis mon père, il devint furieux, comme sa femme l’espérait.

— Pas question de changer ton visage ! Quelle idée extravagante !

— C’est mon visage, tu n’as rien à y dire.

— Fais-le, et je te déshérite.

— Tu ne vas pas me commander, je suis adulte désormais ! Tu ne peux plus diriger ma vie, même si j’ai divorcé.

Je n’avais pas besoin d’un nouveau tyran, de quelqu’un qui me dise quoi faire ou ne pas faire, comment vivre. Je me ferais raccourcir le nez le lendemain et je quittai mon père en pleurant, pour aller dormir chez ma tante. La sœur cadette de ma mère avait à l’époque 66 ans, elle était veuve depuis deux ans. Elle avait eu de la chance, elle savait comment prendre les hommes.

Elle venait de trouver un homme qui l’aimait passionnément, Maurice, un charmant vieux monsieur de près de 80 ans (a). Ce soir-là, il était chez ma tante et c’était lui, fin cuisinier, qui préparait le dîner. Délicieux. Je leur racontai mes ennuis avec mon père et... mon nez.

— En quoi ton nez te dérange ? demanda-t-il après le dessert. Tu es charmante, telle que tu es.

— Il est trop long ! Aucun homme ne me regarde depuis des mois.

— Et toi, les regardes-tu ? Il faut leur faire signe, puis les laisser venir et lutter pour toi.

— Ah ?

— Ton nez fait partie de ta personnalité, de ton caractère. Très intéressant, très séduisant. A ta place, je ne le changerais pas, cela toucherait ton expression piquante, ton caractère. Sois toi-même ! Reste avec ta personnalité, ton visage à toi.

— Vraiment ?

— Sûrement. Tu verras, telle que tu es, tu n’auras qu’à faire un petit signe et plusieurs hommes courront après toi. Autant que tu voudras. Et, avec ta personnalité, ils ne pourront plus te quitter, c’est toujours toi qui décideras.

— Tu crois?

—J’en suis sûr, t’es vraiment bien tel que tu es.

Il me rendit confiance, il fit tout pour me le rendre (même l’amour). La femme de mon père, perdit cette bataille. J’ai conservé mon nez, tel qu’il était.

Maurice avait raison et quelques mois plus tard, dans une nouvelle ville, un nouveau pays, j’ai commencé à plaire. Comme il avait pronostiqué, je n’avais qu’à choisir. Enfin, je me suis convaincu que je plais. J’ai appris aussi de ce que j’ai besoin, de ce que je ne veux pas et, surtout, de ce que j’aurais besoin. Je ne me souviens pas que mon nez m’eût jamais dérangé depuis.


Que dire d'autre? Avouer que finalement, Maurice devint mon 4e? C'est à lui que j'ai écrit aussitôt que j'ai passé mon doctorat et j'ai pensé souvent au conseils sages qu'il m'avait donné. Quinze ans plus tard, quand il était à quelques jours de mort j'ai dit quelques mots gentils à travers ma tante, qui lui ont fait bien. Disant, que ma rencontre avec lui avait compté. Ce qui était vrai d'ailleurs.

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