Quelquefois, je me dis : c’est normal que tu n’es pas bonne en grammaire, que tu ne connais pas, tu n’as fait que trois années d’études, d’école régulier, continue, suivie, étant présent, “ normaux ”. De six ans à neuf et demi.
Et ensuite?
Le deuxième guerre mondiale est arrivée jusqu’à mon pays, jusqu’à mon ville natale, l’armée allemande est entrée en Hongrie et, bien que nous étions baptisés, à cause de notre origine juive nous avons du partir, se cacher, se tapir pour survivre sous des fauches identités pendant une année entière.
Et alors?
J’ai commencé dès lors m’habituer à étudier, à lire, à vivre seule.
Vers dix ans ma mère m’a trouvé trois livres de Jack London, mes premiers romans parlant de la vie difficile des chiens qui ont du survivre dans des situations très durs. Le chien héros commençait sa vie dans une famille, douillette, aimée, tranquille, tout comme moi, puis il était jeté dans les pires conditions, entouré d’une meute de loups souhaitant sa mort. A l’époque, je n’ai pas fait le lien entre les chiens des nazis, hurlant sur le quai de train à notre arrivé dans la capitale, nous menaçant à peine sorties des wagons, des chiens et des nazis à qui nous avons échappé de justesse, je n’ai pas lié au danger des petits chiens de qui London parlait, pour qui j’ai pleurais, tremblais.
Après ?
Une année plus tard nous avons pu revenir. Mais après la guerre, ma ville natale hongroise est devenu une partie de la Roumanie et mes parents ont décidé que je dois apprendre la langue de pays, ils m’ont envoyé à une école de jeune filles roumaines. Pendant les deux ans suivants, entre des filles qui me haïssaient, j’ai appris de parler et à écrire dans cette langue, j’ai passé les classes par miracle mais je n’ai appris rien d’autre.
J’en avais marrrre.
J’avais réussi à persuader mes parents de me laisser continuer dans une lycée hongroise, j’avais treize ans et enfin, cette année là j’ai appris des choses. Marcher sur une barre fixe, boire du thé, réciter par coeur des parties du bible, j’ai eu le temps d’aller au théâtre et d’écrire.
Écrire !
Je voulais devenir dramaturge hongroise. Mon père s’est aperçu et m’a poussé à m’inscrire dans une lycée roumain de chimie, loin de mes copines, loin de ma langue.
Pendant trois ans, j’ai appris bien des choses sur la chimie, organique, inorganique, analytique... j’ai même aimé l’odeur de souffre de laboratoire et j’ai trouvé une amie. Mais on ne nous apprenaient rien de l’histoire, ni de grammaire, ni des langues, tout le reste était considéré perte de temps pour une technicienne chimiste.
J’avais 18 ans et seulement trois ans et demi d’école normale.
J’aurais voulu suivre l’université, devenir ingénieur chimiste, bien que mon coeur saignait encore à ne pouvoir devenir écrivain. Et puis, l’université m’était interdit. De nouveau, à cause de mon origine. Avant, parce que j’étais d’origine juive, maintenant, parce que j’étais d’origine bourgeoise. De mauvais côté de la barrière, toujours. Encore.
Que faire ?
Je ne renonce pas facilement.
J’ai commencé à travailler à 18 ans et en travailleur, j’avais le droit de suivre de cours par correspondance en n’allant qu’à les examens. J’étudiais le soir, les week-end la chimie, la physique, les maths. Et puis, quand j’avais un peu de temps restant après le travail et les études, je découvrais Ovide, Tolstoï, Rostant.
Malgré six années des études assidues, des examens passés, je n’ai jamais reçu ma diplôme: trois jours avant la soutenance final j’ai été exclue de tous les universités de pays communiste comme “ ennemi de peuple ”. Le sort l’a voulu peut-être, pour que je veuille bien quitter ce pays et m’en aller ailleurs, dans l’inconnu, rompre les liens.
Je suis sortie enceinte et j’ai eu deux enfants, en France nous avons habité une petite ville de Nord au milieu de betteraves et des canaux, perdus dans le brouillard. Après sept ans, mon destin m’a conduit à Paris dans un hôtel infesté des punaises mais m’a aussi aidé à découvrir l’informatique et de passer un CAP en français. C'est la diplôme dont je suis encore la plus fière.
Je pouvais encore étudier ! J’ai repris courage.
L’opportunité est arrivé de faire de recherches et passer en même temps un doctorat. J’avais 40 ans. Je n’ai jamais eu un diplôme en Roumanie, mais la France m’a donné un titre encore plus importante. C’était une vraie revanche.
Un titre, à quoi m’a-t-il servi ?
C’était le triomphe contre ceux qui m’ont empêché, refusé, puni sans fautes. C’était aussi la possibilité de m’enfuir encore une fois loin, avec mes enfants après mon divorce. C’était la possibilité de découvrir l’Amérique et me prouver là-bas que je peux encore plaire.
C’était la possibilité de me prouver que je sais me débrouiller seule et même prouver que je sais enseigner - moi, qui n’a jamais appris, n’a jamais fréquenté une école normalement comme tous les autres.
Un titre ? Revenu en France, j’ai du le cacher.
J’ai changé de métier et en commerce, une titre scientifique m’aurais seulement gêné. Il m’a bien aidé à partir, mais ne me servais plus en revenant.
De toute façon, combien de temps ai-je étudié à l’école?
Trois ans et demi d’école élémentaires, normalement, comme tous les autres.
Le reste, seule. Ce qui me permet à continuer. Je n'ai jamais arrété à édudier depuis.
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