20 décembre 1953
Depuis quelques mois j'ai commencé à mûrir. J’étais plutôt renfermée, je commence à m’ouvrir. On me dit que jusqu’ici je n’étais pas vraiment “grande fille” : je suis en train de le devenir. Je ne suis plongée dans la vie réelle que depuis quelques mois. Jusqu’ici c’est surtout la lecture et l’école qui m’intéressaient. Dans ce nouveau, joli cahier j'essaierai de décrire mes joies et mes divers plaisirs, pour me les rappeler plus tard.
Mes plaisirs ?
J'ai déjà eu du plaisir à lire 'Bibi' de Karine Michaëlis, les poèmes de Petöfi, les préfaces amusantes de Kästner, les contes de Lamb sur les pièces de Shakespeare, et aussi en voyant des opérettes, surtout l'opérette hongroise “Jànos Vitéz”. Mais je me rends compte que ce n'était pas une joie profonde, seulement superficielle. Est-ce vrai ? J’aime beaucoup les ballets, jusqu’ici c'est Coppélia que je préfère. Je vais souvent au théâtre et ne rate aucun film. Je suis déjà allée à l'opéra (juste sept fois) pourtant c’est seulement la "Dame de Pique" qui m’a plu du début jusqu’à la fin. Cette saison, je n’y ai été qu’une seule fois, car c’est très difficile de se procurer des billets, mais j’ai déjà entendu deux fois à la radio la Traviata et ça m’a beaucoup plu.
Je commence à m'intéresser à la musique classique. Je ne me suis pas encore aventurée très loin dans ce domaine, je ne suis arrivée que dans son antichambre. Je la connais mieux en théorie que pour l'avoir entendue : j'ai plus lu sur Beethoven qu’écouté, et plus écouté qu'apprécié. Mais je sens que je suis sur la bonne voie. Je suis en train de découvrir un nouveau monde. J’ai commencé à aller aux soirées musicales de l’Université et j’irai écouter un concert à l’Athénium, si possible chaque semaine. J'aime les concerts, mais je ne les ai écoutés qu’à la radio. Je n’aime pas encore tout, mais le Concerto pour Flûte en Ré Majeur de Mozart et surtout la 5e symphonie de Beethoven m’ont beaucoup plu. J'ai une bonne faculté d’imagination, mais si avant d'entendre Shéhérazade j'avais pu lire les récits des Milles et Une Nuits, peut-être l'aurais-je mieux compris.
Je me sens encore plus éloignée de la peinture et de la sculpture, mais il y a un temps pour tout. C'est dans la littérature, que je me sens le mieux : je réussis à avoir le même plaisir avec un bon roman, une pièce de théâtre ou un poème.
Il est possible que mes goûts et jugements ne soient pas bons, car par exemple je n'aime pas Balzac (Marthe l’adore) ; par contre, je connais déjà presque par cœur les romans humoristiques sur les légionnaires de l'écrivain hongrois Howard. Je pense qu’on ne doit pas, qu'on n'a pas le droit d’accepter l'opinion des autres (même s’ils sont plus nombreux, plus intelligents et plus cultivés que nous). Je n’admets leur opinion que si elle coïncide avec la mienne. Donc je ne vais jamais considérer la musique de Beethoven comme “grandiose” tant qu'elle ne me plaît pas vraiment beaucoup à moi.
Je sais que mon point de vue peut être influencé par mille choses autour de moi. Je sais que je suis subjective. Mon âge, ma jeunesse y contribuent aussi. Ce qui me paraissait ennuyeux il y a quelques années me ravit aujourd'hui, ce qui me plaisait fantastiquement, par exemple les romans de Polevoï, m'ennuie aujourd’hui. Ceci m'arrivera sans doute encore.
J'ai décrit mes plaisirs culturels aussi pour voir ce qui en restera, ce sera intéressant, pour moi et peut être pour d’autres de suivre mon évolution (j'espère qu'on le pourra).
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