Lettres de Julie à son époux
25 juin 1963
Mon cher garçon,
Il est une heure de demie, j’ai couché Agnès, j’ai arrosé dehors devant la fenêtre de sa chambre pour que les enfants ne puissent jouer juste là et tout, tout est ici comme d’habitude. Seulement tu flottes sûrement déjà sur la mer en haut en bas comme les vagues vous portent.
Nous ne nous sommes éloignés depuis longtemps, mais déjà tu me manques un petit peu. Non que je voudrais que tu sois ici mais moi là.
J’ai réfléchi aujourd’hui à ce que tu as dit « Si je ne réussis pas maintenant la vie est finie » ou quelque chose dans ce genre. Je ne suis pas du tout d’accord. Je te souhaite de toute mon âme à réussir, vraiment crois-moi que même ta maman (écris lui s’il te plait vite !) ne peut pas te souhaiter davantage à réussir comme moi. Cette pensée, j’espère, va même t’aider.
Mais si cette fois-ci tu ne réussissais pas, crois-moi, tu ne perdras rien, tu gagneras beaucoup d’expérience.
S’il fallait revenir, c’est avec la pensé que la deuxième fois tu feras mieux. Je sais, par exemple, si tu vois maintenant que ne sachant une langue t’as dérangé, tu te mets et tu l’apprends bien ; si c’est une relation qui te manquait, tu te mets à commander et lire chaque semaine le journal de Meunerie, tu répond aux annonces, tu corresponds, etc etc. et tu essaies de nouveau. Ne me comprend pas mal, à peine tu es parti et moi, crois-moi sur Agnès, je ne pense du tout que tu échuerais, au contraire, je veux seulement que tu comprenne qu’il ne s’agit pas de la vie ou mort, et n’importe comment nous vivrons à la fin à l’endroit où tu aime, où tu seras content. Nous sommes jeunes, seulement 29 et 30 ans, et nous avons encore toute la vie en face de nous. Quelques mois, ou ans ne comptent pas tant.
J’espère que tu supporte bien le voyage et que tu as réussi à acheter des mines pour ton crayon, que tu as déjà fait des connaissances et que tu pourras te rencontrer avec ton ami d’enfance de Pirée. Transmets-lui mes salutations si tu reçois cette lettre avant de le rencontrer. J’espère que tu le recevras.
J’ai épaté le prof de conduit avec quatre revers bien réussis. Aujourd’hui j’ai conduit très bien mais je ne fais pas assez attention aux croisements aux voitures arrivant et ce n’est pas bien. À partir de vendredi je prendrai des leçons doubles.
J’ai réussi à dormir encore une heure après ton départ, ainsi maintenant je n’ai plus sommeil. La leçon de théorie a été repoussée pour jeudi, ainsi aujourd’hui j’ai fait la cuisine, ordre et nettoyage, puis j’ai pensé à toi, ensuite je suis allée prendre Agnès. Je lui ai lavé les cheveux, elle était très heureuse après que je l’ai sortie du bain et je lui ai dit « Fini – l’eau ». Elle a mangé très bien à midi et s’est aussitôt endormie.
Je t’embrasse avec beaucoup d’amour et envie de toi,ta Julie
Sandou, voilà ma lettre « express par avion » mais ne crois pas que c’est la première. Je n’ai déjà écrite une à Pirée, une carte postale à Marseille à l’adresse du bateau et une à la vieille adresse de Fianu. Au moins, tu recevras sûrement celui-là.
Je suis heureuse de voir que les choses démarrent bien, même si la partie difficile commence seulement maintenant, comme on le dit. Avec persévérance, je suis sûr qu’il te réussiront
D’abord, sur ce qu’arrive à la maison. À partir du premier juillet Agnès va à l’école maternelle près d’ici, elle aime mais le parc (et les enfants habituels) lui manque encore. Par hasard, son éducatrice sait roumain. Les autres ont deux à trois ans, elle est la plus petite. Elle a commencé à faire au pot (quand elle veut). Un matin elle s’est réveillée, m’a appelée et la première chose qu’elle m’a dit était : Sandou ? Sandou ? Je lui ai expliqué que tu es parti en avion (elle ne comprend pas encore bateau). Elle mange bien et en générale est obéissante, comme tu le sais. Nouveau : elle dit « voilà » quand elle me donne quelque chose et chaque jour elle parle mieux et plus, tant en roumain qu’en hébreux.
J’ai passé l’examen de code, merci pour les félicitations, ce n’était pas trop dur pourtant c’était en hébreux. Fin juillet sera la pratique. Déjà ça va très bien, je change assez facilement les vitesses, je ne suis pas encore assez attentif à la circulation.
Aujourd’hui on m’a retiré… le dent, c’est passé mieux que l’année dernière. Après dix jour d’avoir vomi dès le réveil, etc. je me sens enfin mieux.
Aujourd’hui Mary était avec moi toute la journée, elle vient juste de partir. Elle est très gentille et s’entend très bien avec Agnès. Demain elle viendra avec tante Irène. Ils ont des problèmes avec leur inscription à l’école, les deux filles n’ont pas été admises au lycée de Givataim. Je lui a lu ta dernière lettre et elle m’a demandé à ne pas t’expédier celle-ci comme elle veut ajouter aussi, mais je lui ai dit que je te l’enverrai demain matin et qu’elle t’écrive séparément.
Merci pour ton télégramme pour le 1 juillet et les jolie fleurs achetés. J’ai reçu des lettres pour l’occasion de nos trois ans de mariage, tant de Gabrielle que des vieux.
Je t’aime beaucoup mon mari et je te souhaite la réussite de tout mon cœur ! Mais je n’aime pas ce que tu disait avant de partir « ou maintenant, ou c’est fini », ce n’est pas bien de penser ainsi !
De tout échec, il faut apprendre et l’utiliser pour le futur. Fais ainsi, toi aussi, là-bas ! Si quelqu’un te refuse, n’abandonne pas aussitôt, essai d’apprendre pourquoi etc. pour ne pas faire chez le deuxième les mêmes erreurs ou utilise une autre tactique. Tu ne m’écris pas comment tu te débrouille avec la langue ?
Si possible, visite Saint Chapelle un matin ensoleillé et une autre fois le musée Rodin, puis écris-moi ce que tu en pense. J’espère qu’avec le temps tu prendras en amitié Paris, sinon tu pourras te promener dans ses environs.
J’aurai le droit de me lever dès vendredi, la famille Kertesz sera ici, ils n’ont toujours pas encore la nouvelle appartement. Aujourd’hui oncle Dezso m’a raccompagné chez moi dans sa voiture, c’était beau de sa part, son Peugeot va très bien. J’ai signé pour le logement et payé une partie, le reste pour 15 juillet et 15 août et c’est fini. Hier j’ai dit adieu à mon autre cousine Marie qui part en Amérique pour trois mois.
J’ai reçu ta lettre écrite sur le bateau et jusque maintenant je l’ai relu au moins trois fois, c’est vraiment le cadeau la plus belle que tu m’as jamais offert à un quelconque anniversaire de mariage, je suis sure que beaucoup des femmes m’envieraient avec un cadeau comme cela
Au début, je ne comprenais pas très bien que tu n’est pas rentré le soir à la maison, avec le temps, je m’habituerai. Je me couche presque en même temps que notre fillette
J’ai pas mal d’ennuis avec les enfants de la cour qui font de bruit, presque exprès quand je dois coucher Agnès et exactement devant sa fenêtre. Elle s’est presque habituée mais se réveille encore à un cri plus strident. Finalement, je la changerai de chambre et je dormirai moi là. Nous verrons.
Tout à l’heure elle s’est réveillée et je n’ai pas encore le droit de rester longtemps hors de lit, je l’ai pris avec moi, après dix minutes elle s’est endormi, je l’ai remis dans son lit, elle a demandé l’oreiller, je lui ai donné, elle dort de nouveau.
Je suis contente que tu a pu voir la Riviera même rapidement, mais tu ne m’écris rien d’elle ni du voyage, comment c’était la cabine, les repas, la santé.
Écris-moi plus et avec davantage de détails, ou – comme tu veux. L’important est que dans toutes tes lettres je sens le chaleur et que tu aimes tes deux filles,
Agnès et Julie qui t’embrassent avec amour,
Lettre de la mère de Sandou, attachée
Bucarest, Roumanie le 18/6/963
Nos chers, Julie, Sandou et Agnès[1]
Avec l’occasion de l’anniversaire de trois ans de mariage, nous vous souhaitons de tout cœur tous les bonheurs et beaucoup d’amour, solidarité et compréhension complète. Santé à toute la famille, tout bon et que tous vos souhaites se réalisent.
Nous sommes bien, nous aussi, et tous pensons souvent à vous et attendons de bonnes nouvelles de vous puisque nous avons de la joie d’avoir de vos bonnes nouvelles et qu’on puisse se câliner au moins en écrit et quand nous vous voyons en photo. Si le bon Dieu le veut, j’irai dans un mois faire des bains à Amora en espérant qu’ils m’aideront. Le temps est chaud mais le soir et nuit frais, nous avons régulièrement des pluies et les légumes et les céréales seront bons.
Nous vous souhaitons de bonne santé, au revoir,
Aphrodite[2]
Lettre de sœur de Sandou, attachée
10 juin 1963 Bucarest
Chers Judit, Sandou, notre chère petite Agnès,
Il y a longtemps que j’ai reçu ta lettre et j’étais très heureuse en la lisant comme si on parlait et je te voyais. C’est tout à fait vrai que c’est dur d’être si loin et si on serait ensemble nous serions comme deux sœurs. Que dire de moi, chérie. J’étais partie chez Vasile puisque j’ai eu des problèmes inattendus, j’aurais voulu aller à la mer mais il s’est remis pour une autre année. J’étais une semaine chez Vasile[3] et je suis partie fâchée pour rien du tout et deux semaines se sont passées depuis sans qu’il écrit ou vient. Je ne sais pas que dire, moi non plus, je suis devenue nerveuse tellement que de temps en temps je ne me reconnais pas moi-même, moi qui étais très douce et bonne, maintenant tout me fâche et me déprime.
Je regrette que toi non plus n’est pas tout à fait contente mais que faire ma chère Judit la vie est ainsi seulement troubles et rien pour nous satisfaire. Vous devez être content puisque vous avez la petite et jolie Agnès qui malgré toutes les difficultés de la vie vous caresse l’âme avec ses enfantillages. Moi, à côté du reste, je n’ai pas eu cette joie, seulement les pauvres vieux depuis beaucoup des années et je souffre ayant des troubles de conscience à chaque fois que je ne me suis pas comporté assez bien envers eux. Mais les choses s’accumulent.
Depuis un mois il n’y a pas de travail et je ne sais pas encore quand cela reprendra en plein. Tout sera encore bien si j’avais un bon logement, ce qui est un autre motif me faisant tant de chagrin. Je regret pour toi que tu dois vivre dans un minuscule logement, mais que faire, c’est ainsi.
Que le bon Dieu vous aide à réaliser quelque chose de mieux.
Qu’a fait mon cher frérot Sandou, il est parti ? nous lui souhaitons d’avoir chance et d’avoir une vie plus tranquille.
Je crois que lui aussi est très nerveux, il était déjà ici quand il n’avait pas encore les mêmes difficultés, mais que dire, les hommes sont ainsi, plus nerveux et brusques, en plus mon mari d’Olténie est entêté comme un âne mais cela lui a déjà passé et passera, je me suis habitué déjà avec ses caprices même s’ils me heurtent beaucoup. Quand je suis fâchée beaucoup passe dans ma tête, heureusement pour eux cela ne me dure pas longtemps et je ne reste pas ennemi, comme si rien n’avait arrivé. Je vois hélas que je suis fort changée, probablement avec l’âge on devient plus nerveuse et plus moche.
Aujourd’hui j’étais à la maison chez maman et j’ai nettoyé, elle ne peut plus tout seule ni bien frotter le parquet, mais elle a une grande chambre lumineuse et je n’ai pas réussi à mettre tout en ordre dans une seule journée.A un moment donné, en parlant de vous, comme souvent c’est le cas, elle eut tellement envie de vous qu’elle n’a pas réussi à se prendre en main, pourtant elle a une caractère résistante. Elle espère vivre assez longtemps pour vous revoir encore une fois. Elle me dit que notre Sandou était son petit chéri, le petit cadet câliné par tous.
Nous sommes en santé et vous souhaitons santé et la réalisation de vos souhaits. Beaucoup de bonheur, j’espère que vous recevrez ma lettre pour votre anniversaire de mariage. Chère Julika, transmets de notre part à ton Papa et Deborah[4]
des salutation chaleureuse et des vœux de bonne santé. Je vous embrasse tous avec chaleur et désir et embrasse mille fois de ma part la chère petite Agnès. Ecrivez-nous encore. Par ici, cette année l’été n’est pas trop chaud, mais plutôt agréable.
Je vous embrasse, Gabriella
Lettre de 2e épouse de père de Julie
Cher Sandou ! Zürich, 12 VII 1963
Hier nous avons reçu ta lettre tant attendue de dix mois courant et je te réponds aussitôt, pour que tu aies de nouvelles de nous et aussi des nouvelles de Juli et Agnès. Nous sommes arrivés ici le 3 juillet, jusqu’à notre départ, nous étions ensemble avec Judith, ou elle chez nous, ou nous chez elle. Agnès était gentille comme d’habitude et des fois disait « Sanou », elle a été mise dans un jardin d’enfant, seulement à trois maisons de notre logement et ainsi c’est beaucoup plus facile qu’avant, Judith a quelques heures libres. Elle se sent très bien et elle était très heureuse de ton télégramme envoyé à l’occasion de l’anniversaire de votre mariage. Reçois de notre part nos meilleurs souhaits. Avec le logement c’est arrangé, le contrat a été signé, bien sûr auparavant tous les point ont été clarifiés pour n’avoir pas des surprises ultérieurs.
Maintenant je veux passer à ta lettre. Je ne suis pas surpris de ce que tu écris, que tu as rencontré seulement des gens froids, etc. C’est ainsi que sont tous les gens s’ils sent qu’éventuellement tu pourras avoir besoin d’eux, d’une service de leur part. Il te tient plus longtemps loin. Mais cela ne doit pas diminuer ton enthousiasme ni te faire perdre ton courage. Avec persévérance tu réussiras sûrement et ensuite, tout ce qui s’est passé avant te paraîtra comme non important.
Je suis déjà très curieuse pour apprendre quelles réponses tu as eu à tes offres ?
Je m’en réjouis que tu te débrouilles avec la langue française, avec chaque jour en entendant partout français tu sauras de plus en plus. Je suis étonnée que ton impression de Paris est celle d’une ville morte. Je me souviens, qu’on disait toujours avec énormément de fierté que Bucarest est un petit Paris, la vie, le mouvement, les boites, etc. comme Paris, mais la ville plus petite. Mais c’est possible qu’en mois juillet, les vacances déjà commencées, beaucoup de monde est parti et Paris paraît comme abandonnée.
Nous avons été hier avec Pista chez le docteur, il doit, hélas, commencer un traitement assez douloureux et même s’interner un temps à l’hôpital. Comme le docteur part en vacances, il le commencera seulement en août. J’espère qu’entre temps Julie a reçu ton adresse et vous pourriez réciproquement vous tenir au courant de ce qui se passe. Je te souhaite encore une fois beaucoup du chance sur ton nouveau chemin et j’espère que tu réussis. Écris-nous régulièrement à l’adresse du George,
Déborah et Pista
[1] On l’appelait « Agi » prononcé « Aghie »
[2] mère de Sandou
[3] Gabrielle, sœur aînée de Sandou. Son mari Vasile travaillait et habitait à la compagne.
[4] Deuxième femme de Papa de Julika, (Juli, Judit ou Judith)
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