Cher Sandou, 2 mai 1961

Cher Sandou 2 mai 1961 (I)

Je t’écris à toi, mais cette lettre est aussi adressée à ton frère qui m’a demandé de lui décrire les endroits où je passe et à tous les autres à qui tu veux la montrer, qui peuvent être intéressés par ce que j’écris.

En venant ici, je suis passée de Zurich fleurie de fin de printemps, par Bruxelles froide et pluvieuse, dans l’été de Tel-Aviv. Les gens disent qu’ici “il fait encore froid et que l’eau est encore trop froide pour se baigner”, mais tenant compte du temps en Roumanie, on est déjà ici disons, fin Juin.

Pendant la journée il fait très chaud au soleil et l’eau de mer est agréablement chaude, fraîche - mais pas froide et on peut mettre un tailleur d’été “de printemps” disent-ils, mais le mieux c’est de s’habiller carrément en robe d’été. Heureusement j’en ai emporté avec moi. Mais dans l’appartement il fait frais car le sol est partout en carrelage comme dans la cuisine chez nous, et à l’ombre aussi, surtout le soir on ne peut pas encore sortir sans un pull. Au début, j’avais aussi besoin de quelque chose sur le dos dans la maison et mes pulls restés à Bruxelles m’ont beaucoup manqué.

Dès la deuxième journée, je suis allée voir la mer, elle n’est pas loin, en réalité je pourrais dire qu’elle est “dans la ville”. La mer est d’un bleu clair très beau, comme le ciel ici. Tu sais qu’il ne pleut pas du tout ici, du début du printemps jusqu’à la fin de l'automne et, s'il y a quelques petits nuages dans le ciel, c’est seulement pour mieux souligner son bleu clair. Le ciel devient gris seulement dans les jours de “Hansin” vent arrivant du Sahara, chaud, sec et désagréable (soufflant pendant les jours de printemps ou d’automne), et les gens, surtout ceux qui habitent ici depuis plus longtemps, se plaignent des douleurs que le Hansin leur provoque - à chacun selon son point faible ou bien il leur donne mal à la tête. Aujourd’hui par exemple le Hansin est arrivé et d’un coup il est devenu très chaud, l’air est stagnant et lourd, donc j’ai préféré rester à la maison, avec des fenêtres fermées pour un peu plus de fraîcheur. Dans les maisons et les appartements où l’air conditionné existe, c’est encore plus agréable.

Grand-mère s’est décidée juste aujourd’hui à acheter un appareil, elle aussi. Cela coûte assez cher, mais en vaut la peine, surtout, nous ne sommes pas encore au printemps et le véritable été dure ici longtemps, de juin jusqu’à fin Octobre. Novembre est déjà un peu plus frais, disent les gens. Je continuerai sur un autre papier, car je n’ai plus de place sur celui-ci. Je vois que j’ai beaucoup à écrire mais j’ai l’impression d’avoir à peine commencé.

Baisers, Julie.

(II) Cher Sandou,

Hélas, depuis que je suis ici je n’ai réussi à me baigner dans la mer qu’une seule fois. Parce que, bien que la mer soit près, celle de Tel-Aviv est sale à cause de mauvaises canalisations. On peut y bronzer mais très peu s’y baignent. Mais j'ai été deux fois dans une piscine d'eau de mer, à côté de la mer; où l’eau est très propre et on voit la mer de là-bas.

J’ai été une fois à Herzlia, 30 minutes de Tel-Aviv en voiture où il y a trois endroits différents pour se baigner, l’eau est propre, le sable fin et on peut aller loin dans l’eau jusqu’à ce qu’elle devienne profonde. Elle ressemble à la plage Mamaia roumaine, seulement je crois qu’elle est encore plus étendue, et si longue que je n’ai pas vu où elle commence et où elle finit. D’abord l’eau est blanche, ensuite bleue, plus loin verte, je crois à cause des fonds marins (je n’ai trouvé, tant que j’ai eu pied que du sable fin). A chaque fois la mer était tranquille, soit j’ai eu de la chance ou bien c’est toujours tranquille comme ça, je ne sais pas. C’était un plaisir de s’y baigner.

Bien sûr, vers la rive elle est plus chaude et plus on s'avance, plus elle devient froide, mais encore agréable, et les vagues ne sont pas trop grandes. Les gens viennent ici surtout pendant leur jour libre, qui est ici le Samedi, par contre le Dimanche est ici un jour de travail habituel. Ils arrivent avec des motos, des bicyclettes, des voitures et quelquefois en cars. Ils vont au bord de la mer, mais pour le moment très peu d’entre eux se baignent, parce qu'ici ils considèrent que ce n’est que le “printemps”, ils jouent avec des palettes de bois et une balle de caoutchouc à une sorte de ping-pong sans table. Ping pong ping pong ping, jusqu’à ce que la balle tombe.

Il n’y a pas d'autobus à partir du vendredi soir jusqu’au samedi soir, mais sur leur route habituelle, circule ce qui s’appelle ici “sherout” - un taxi avec 7 places en plus du chauffeur qui ne coûte pas plus cher que l’autobus et c’est beaucoup plus commode, le sherout ne te transporte que sur des trajets fixes, tous ensemble. Il coûte, par exemple 25 piastres, l’autobus 18 p. Bien sûr, le sherout circule aussi les autres jours, mais je ne crois pas si souvent. Il existe aussi des taxis habituels, mais ils coûtent trois fois plus cher qu’un sherout, indifféremment si tu es seule ou à plusieurs. Continuation suit, Je t’embrasse,
Julie

(III) Cher Sandou,

Je vois que j’en suis déjà à la troisième lettre et je n’ai encore rien écrit de sérieux. Mais j’ai décrit mes impressions dans l’ordre où elles me sont venues. Tel-Aviv et toutes les villes alentour datent de 15-20 ans, d’ailleurs difficile à savoir où elles commencent, puisque les maisons sont neuves, dans la majorité. Les maisons se suivent les unes après les autres, sans interruption, et un numéro de cette ville, puis une maison de l’autre ville d’un coup. Toutes les maisons sont modernes, avec terrasse, sans étage pour les plus anciennes, avec plusieurs étages pour les plus récentes.

Dans le centre, les arbres sont déjà grands - je crois qu’ils sont obligatoires, quand on construit il faut mettre un peu de “verdure” autour (ou des fleurs au-dessous de chaque maison). Là où les constructions sont plus récentes, les arbres sont encore tout petits et l’herbe commence à peine à pousser. Je crois, que, pour économiser de la terre la plupart des maisons n'ont pas de rez-de-chaussée et, à la place, il y a un jardin au-dessous, les maisons sont construites sur des colonnes. Ces maisons se multiplient et croissent comme des champignons, et l’herbe prend de plus en plus le pas sur le sable.

Par exemple chez grand-mère où j’habite maintenant, au bout de la petite ville Givataim, on construit des bâtiments pour les nouveaux venus appelés “olé”. Certains sont prêts, les autres encore en construction. Grand-mère a reçu un logement, il est vrai hélas, seulement après dix mois et beaucoup de promesses reportées, et c’est ainsi que mon pauvre grand-père est mort avant que leur appartement soit fini. La première fois que je suis arrivée ici, il y avait du sable à la place du trottoir. Après trois jours, je suis de nouveau venue et le trottoir était déjà fini.

Chaque jour il y a plus d'herbe et on aura aussi des fleurs, qui sont plantées et arrosées avec beaucoup d’eau chaque jour par des canalisations souterraines.

Les maisons environnantes ont déjà des fleurs et celles en face, qui ont déjà dix ans, ont une végétation encore plus riche. Encore plus surprenant dans cette terre tellement sableuse à partir de juin croissent d’énormes abricots, des raisins, des fraises, des concombres, des tomates, des choux... Celle qui s’habitue le plus difficilement est la pomme, elles existent mais elles sont petites et vertes, sucrées, trop d’ailleurs.

J’ai vu beaucoup de belles choses, mais cela ne veut pas dire que les gens vivent ici facilement. Pas du tout. Il y a de nombreuses difficultés, beaucoup de travail et celui qui n’a pas un bon métier ou pas beaucoup d’argent vit très difficilement.

Au revoir mon cher époux, Julie

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