Une (longue) relecture commenté 1968

24 juin 1968

Sept ans se sont écoulés depuis que j’ai été séparée de mes journaux et depuis sept ans je n'ai pas écrit. Je viens de les récupérer. En les relisant, je vais décrire les anciens journaux et l’ancienne Julie, tels que je les vois aujourd’hui. Sandou me les a apportés de Roumanie.

J'ai commencé à écrire mon premier journal en 1944 à 10 ans, au début du siège de Budapest. Mon enfance avait été très heureuse et ma mère a réussi à la garder ainsi, malgré toutes les difficultés externes. Mais je me sentais seule, incomprise, négligée déjà à 12 ans, c’est donc une ancienne maladie chez moi.

Mon premier journal va de 10 à 14 ans, j'écrivais peu, mais en quelques mots tout ce que j’ai traversé y est. En le relisant, je me souviens de tout ce qui est derrière les mots.
La page la plus douloureuse : "Magda vit encore !" Hélas, c'était seulement un souhait, j’attendais en vain qu'elle revienne, elle était disparue en fumée avec d’autres de ma famille à Auschwitz.

Quelles étaient mes joies à cette époque ? Les cadeaux de Noël et l’anniversaire, les promenades avec mes amies et nos discussions sérieuses, les jeux et l’écriture, les bonnes notes reçus après l’effort.

Mon deuxième journal couvre 14 à 15 ans : je commençais à regretter qu'on ne me gâte plus comme une enfant. Mon plus grand chagrin de l’époque : on m’a déménagée de ma chambre de force à l’aube, et bientôt après, il nous a fallu quitter ma ville natale. Mes amies. Ma langue maternelle.

À 15 ans, je suis devenue communiste dans l’âme, sous l’influence du film La Jeune Garde et des livres, lus à cet âge ils ont laissé une forte empreinte sur moi. J'ai été admise membre de l'Union de la Jeunesse Ouvrière communiste, je m'en suis réjouie de tout mon cœur, le prenant comme un grand honneur.

Le troisième journal s’étend de 15 à 20 ans. La volonté est vraiment très importante. Je dois de nouveau apprendre à réaliser ma volonté, déjà en tenant à mes propres décisions. Recommencer à réfléchir !

À 18 ans, j'avais noté :
Le plus important est la volonté. Analyse tes défauts, tes buts, ce que tu veux obtenir, ensuite vas-y, contre et malgré toutes les difficultés et sans te départir de ton chemin malgré les opinions des autres !
Je dois l’appliquer, sans tarder.

Quand j’avais onze ans, ma mère m'a dit: « Le but de la vie est d'être heureux
Être heureux, d’après moi ne peut pas être un but, seulement son résultat.
On est heureux quand « on est comblé au travail et en amour», disait-elle.
C'est vrai. J'étais encore il y a deux ans, peut-être même il y a une année. Je ne suis plus contente du tout de ma vie. Mais il ne dépend que de moi d'essayer de changer la situation : me revaloriser !

En cette période-là, mon plus grand chagrin avait été qu’on ne m'avait pas laissé fréquenter l'université malgré mes bons résultats.

À 19 ans, j'ai pleuré mon premier mort : Staline. Après son décès ma croyance dans le communisme commence à s’effriter. J'ai noté mes défauts de 18 ans, je viens de constater qu'ils n'ont pas fondamentalement changés :
Je ne sais pas bien me comporter avec des gens. (Je commence lentement à le faire mieux, mais j’ai encore pas mal de chemin à parcourir vers eux.)
Je n'ai pas assez de volonté (juste un peu plus).
Je ne suis pas assez soigneuse de mes affaires et de moi-même.
Je suis trop sincère, trop naïve, je parle trop vite. (Oui, toujours.)
Je ne suis pas assez cultivée, (plus aujourd’hui pourtant).
Je ne fais pas assez de sport, (je nage régulièrement).
Je ne vis pas assez intensément, (je commence).
Je suis trop curieuse (hélas, toujours)
Je ne suis pas assez indépendante. (Si, je serai !)
Je ne m'occupe pas assez des détails, (c'est dommage).
J'interromps vite quelqu'un “ce n’est pas ainsi”.
Je ne suis pas assez attentive aux autres.
L'opinion des autres compte trop pour moi, (pourquoi ?)
Je me laisse souvent influencer trop facilement, (moins).
Je ne connais pas assez des langues, (j’en connais déjà pas mal, mais aucune parfaitement).
Je m'énerve trop vite et alors je parle et agis sans bien réfléchir. (C’est vrai encore.)
Je me laisse trop abattre par la maladie, la tristesse.

Après la lecture d'Anna Karenina de Tolstoï j’ai conclu à cette époque: «Il n'est pas bon qu'une femme dépende d'un homme, sois donc indépendante !»

Cinquème journal (le 4e je n'ai pas récupéré que plus tard, le croyant perdu, longtemps)
A dix-neuf ans j'ai tremblé la première fois pendant deux jours, en apercevant la main d'un prof écrivant sur le tableau. C'est passé, c’était il y a si longtemps, mais en écrivant ces lignes je tremble encore l'émotion provoqué alors. Que certains souvenirs peuvent rester forts !
Je croyais. Je voulais lutter pour des idéaux, faire le bien de l’humanité, et, cela m’avait rendu un peu meilleure ou plus sérieuse que d’autres autour moi. J'apprenais énormément. Une de mes qualités : je sais dégager ce qui est le plus important. C’est heureusement, toujours vraie.`
« Trouverai-je quelqu'un pour me comprendre et m'aimer ?» me demandais-je déjà.

A vingt ans, je commence à ne plus croire dans l’idéologie communiste, mais je découvre émerveillée la musique, l'opéra, la joie des poèmes, le plaisir des balades dans les montagnes enneigées ou couvertes de feuilles d’automne, le bonheur d'étude de l’algèbre. Je vis intensément!

Les garçons m’intéressent encore très peu mais je rêvais déjà d’avoir des enfants, d’allaiter. Envie d’amour et d’avoir une fille et un garçon. Tout cela je l’ai eu, je l’ai! Il faudra y veiller.

Ma réponse, aujourd'hui, au poème de Walt Withman qui demande : « dis-moi tes secrets» est: Oh, que je voudrais qu’on m’aime, comme avant ! Le vouloir, ce n’est pas assez. Il faut lutter, sans cesse. C’est fatigant. Mais nécessaire.

De la Bible transcrit dans mon cahier d’alors :
Conserve surtout ton cœur ; de lui viennent les agissements de la vie. Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez; frappez à la porte et l’on vous ouvrira.
Je ne dois pas l’oublier, puisque rien ne vient si je n’agis pas !

À 23 ans, j’étais pleine de charme, de bonne humeur, bronzée, maquillée discrètement, bien coiffée. Et maintenant à 33 ans ? La première mèche blanche est parue dans mes cheveux, presque le même temps que j’ai découvert à mon chagrin la première fois l’infidélité de mon mari.

“Je suis trop sensible.”
Vraiment, j’ai l’impression de n’avoir pas beaucoup changé depuis 15 ans ! Ce qui est pire est qu’il me semble ne pas m’être non plus développée depuis, pas assez.

Combien j'ai pu me réjouir de tout vers mes vingt ans !

J'ai cru d'abord en Dieu, ensuite en Staline, puis dans l’Amour et la Fidélité éternelle d’un garçon donné. Croire en quelque chose c'est important, mais c’est aussi bête, et les désillusions sont trop douloureuses.

Après tout grand enthousiasme vient une douche froide?

Il vaut la peine de s'enthousiasmer quand même, sinon l’homme ne vit pas, il végète.

En 1956, la révolution hongroise m'a montré combien je me sens Hongroise, et récemment, à trente-trois ans, la guerre récent en Israël m’a révélé combien je me sentais juive.

À 23 ans, j'ai commencé enfin d'avoir un group de copains, je plaisais à pas mal de garçons, mon sang commençait à chauffer. Vint alors Eugène et le premier baiser... ne m'a pas plu. Mais tout doit avoir un début. On doit être sûr de soi-même, mais pas brutal, j’écrivais déjà.

J'ai écrit sur le drame de la curiosité. C'est ainsi que j'ai découvert aussi la première fois, que Sandou m'avait trompée. Est-ce bien ou non ? Il faudra y réfléchir davantage. ça m’a détruit un idéal, c’est vrai, mais aussi ouvert les yeux. Mais depuis, je n'ai pas été heureuse, vraiment, je n'ai plus trouvé un autre terrain solide.

Je dois le retrouver ! en tirant des forces de l’ancien moi.

De mon sixième carnet :

Attention ! même si tu es bien, tu deviens pâlotte à côté d'une fille plus jolie, plus fraîche, plus jeune que toi. Vasile disait que l’amour est 85% d’autosuggestion. Est-ce vrai ?

Puis, j’écrivis sur la guerre entre la raison et les sens (ou sentiments). C'est cette guerre que je dois dorénavant mener et remporter ! Je vais la gagner, puisque sans amour vivre et se coucher ensemble ne vaut pas grand-chose. Vraiment pas !

Simon m'avait fortement attirée, mais j'ai bien fait de lui résister, je ne le regrette pas. Devenir son amante n’aurait pas été une bonne expérience, je l'avais deviné d’avance. Je suis restée vierge deux ans de plus. L'homme regrette si tu cèdes trop facilement, si tu n'es pas assez prude, apprends à te défendre, à te refuser, à te faire désirer, notais-je.

Curieux, Sandou et Simon ont été jaloux d’Eugène qui ne m’a pourtant donné qu’un unique baiser. Qui comprend les hommes ?

Il ne faut pas beaucoup se soucier des caprices des hommes: je savais tout ceci à vingt-trois ans, il faudra que je le réapprenne !

Pour moi, le bonheur ne commençait pas quand je devenais amoureuse, mais déjà en sachant que quelqu'un m'aimait, m'estimait, m'admirait.

« Même si mon mari regardera de temps en temps ailleurs, à la fin, il reviendra vers moi. Parce qu'il est très agréable d’avoir une femme tranquille et calme. » Je dois devenir de nouveau comme j’étais. Je dois redevenir ainsi, y croire.

À l’époque, mon père a été un aide sûr, il ne l'est plus. Pourtant il le voudrait, probablement.
« C’est terrible d'être refusé. Mais c'est agréable de refuser. » C’est effectivement atroce !

J'ai vu que l'amour et l'ambition peuvent êtres liés et je n'ai pas aimé. « Ne pas supporter les caprices et ne pas attiser un ambitieux. Les hommes sont des salauds et ils ne valent pas qu'on soit gentil avec eux. »

J’ai déjà pensé ainsi à 23 ans. Comme j'avais raison !

Comme l'ambiance est importante ! il ne faut pas que je l'oublie.

En regardant maman souffrir, de jalousie et de n’être plus aimée de son mari, j'espérais réussir à aimer toujours un peu moins que l’autre. Alors, c’était facile de le dire, mais maintenant, c'est plus dur de s’en tenir. Je ne veux pas, et je ne vais pas souffrir comme ma mère !

"À la première tromperie, je le tromperai en retour", écrivais-je. Mais, jusqu'il y a deux ans, je ne savais pas que j’étais trompée. Et si je ne réussis pas je l'abandonnerai ! Et les enfants ? Cela ne m'arrivera jamais que je dise 'c’est fini, je n'en veux plus' et recommencer malgré tout après quelques jours. Et souffrir de nouveau. Non, c'est encore mieux de vivre seule ou avec des hommes d'occasion. Hélas, c’est plus facile de le décider, se l’écrire, que de le réaliser. Il s’agissait alors de maman : On n'est pas homme si on ne peut se retenir, si on ne peut être plein de compassion, si on ne peut retenir sa curiosité, ne pas tenir la parole donnée, tenir sa langue quand il faut, parler pour quelqu'un d'autre si c'est nécessaire...

Ce qui est le plus important : trouver, voir, chercher, en tout ce qui arrive, bon ou mauvais, ce qui est bon et en être heureux !

Ce journal, je l’ai écrit pendant ma romance avec Simon. Il voulait tout, pas moi. Pourtant, j’étais fort attirée par lui.

J'étais encore vierge.

Il y a une grande différence entre une fille et une femme ! Les hommes, le comprennent-ils ?

"J'aime ! C’est difficile de tenir deux jours, d’être coquette."

Ovide me conseillait.
La femme qui est triste ne plaît pas. Essayez de deviner les paroles de l'homme, s'il est sérieux ou s'il joue seulement. Réponds avec retard, aux vrais amoureux, l'attente attise leurs feux. En même temps offrir espoir et peur. Jette dehors celui que tu veux conquérir. Fais mal :, mais de façon qu'on ne puisse pas trouver une raison précise, que l'homme sente plutôt qu'il ne voie ce qui lui fait mal.
Il disait aussi, dans son livre poème L’Art d’amour :
Seulement parce qu'il a une maîtresse ne perd pas la tête. Si tu le sais infidèle, ne sois pas trop triste. Crois-moi il n'est pas mal de rendre tromperie pour tromperie.

C'était si bon de s’embrasser, s’enflammer. Depuis longtemps, je n'ai été embrassée par personne. Un petit baiser sur la joue n'est rien, vaut zéro. Pourquoi ne me donne-t-il plus un seul baiser sur la bouche ?

Je n'ai pas besoin qu'il gagne beaucoup, mais qu'il soit sérieux et m'aime ! Il ne gagne pas beaucoup, tant pis, mais si au moins il m’aimerait encore. J’ai toujours envie d'être un peu gâtée, cajolée, caressée. C'est cela qui peut le mieux me faire fondre et me manque tellement, quelquefois.

Septième carnet
Cet été-là, je suis partie en vacances et je suis revenue plus sûre de moi et sans le vouloir, j'ai reconquis Simon, et c'était moi qui décidais, pas l'inverse. Je devrais partir en vacances l’année prochaine, seule ou avec les enfants. J'avais appris (depuis je l'ai oublié, hélas) :

Si tu a des prétentions tu peux tout obtenir, même si au début il se rebiffe, il s'habitue.
J'ai oublié depuis, comment l'obtenir. Si tu as une chose désagréable devant toi, essai de le régler aussi vite que possible.

Mon huitième journal. C'était une époque difficile pour ma mère, elle ne trouvait rien d’intéressant pour l'occuper, sérieusement, après son retrait anticipé cause de maladie.

Si tu commences une lutte avec : “je vaincrai” tu as déjà gagné la bataille 3/4. Dis-toi : je ne vais pas me laisser vaincre ! Je ne suis pas faite de cette étoffe-là ! Je vais serrer les dents, les poings, et je vais sourire, chanter et foncer, pour vaincre la difficulté. Je ne m'arrêterai pas au milieu du chemin, je ne m'effraierai pas !

À travers les vallées et les collines- tu t'en souviens Julie ? Tu avais douze ans et tu montais ta bicyclette deux étages chaque jour et tu chantais “à travers les vallées...” pour te donner courage, te démontrer que tu peux.

La curiosité est très près de l'intérêt, avoir de l'intérêt pour les autres est bien.
Des faiblesses, on a le droit d'en avoir, on n'a pas le droit de les montrer. Plutôt mord ton oreiller et garde le silence. Sois heureuse de la vie ! De tout ce qui est beau !
Julie, rappelle-toi maintenant.

J'avais envie d'un homme qui soit compagnon et aide, qui soit là dans le bien et mal. Il est beaucoup plus dur de l'avoir à côté de moi en cas de difficultés, hélas.
À 24 ans, j'ai terminé enfin tous mes examens d'Université. Que j'étais heureuse ! Comme si toute la terre m’appartenait ! Même aujourd'hui je me souviens de cette merveilleuse sensation dans laquelle je me baignais en me promenant sur les grands boulevards de Bucarest.
Le 2 mai de la même année, j'ai découvert dans les yeux bleus étincelants de Sandou qu’il était amoureux de moi, ou au moins, que je lui plaisais sérieusement. Oh, qu’il me désirait et admirait, alors.

Je sais travailler, et arriver à faire quelque chose quand je le veux très sérieusement. C’est une fort bonne sensation !

Oui, je suis arrivée à terminer l'Université en travaillant en même temps. Mais pour des motifs politiques, on ne m'a pas laissé passer l’examen d'état aussitôt, et l'année suivante, on m’a exclue de l’Université trois jours avant la soutenance du diplôme « Ennemi du peuple », et ainsi je n'ai pas reçu mon diplôme d’ingénieur. J’avais un énorme chagrin et l’absence de diplôme me fait tort encore. Je devrais faire quelque chose, peut-être étudier, c'est peut-être la solution pour m’en sortir.

À vingt-quatre ans, j'avais tant de confiance en moi !

Le premier baiser avec Sandou a été beaucoup plus important pour lui que pour moi. Je croyais, moi, naïvement, qu'il n'aurait pas d’importantes conséquences. Encore aujourd’hui, il ne m'attire pas trop fortement (comme Simon m’attirait), je devrais pouvoir utiliser ce fait. Mais une fois près de moi, il réussit à me mollir même quand je suis furieuse contre lui et puis m’enflammer rapidement.

J'avais écrit de lui à l’époque. Sandou est sérieux (de temps en temps), honnête (pas toujours), sincère (rarement), il a bon cœur (quand il a envie), il a une bonne éducation (était-ce vrai ou je l’avais seulement cru), aime discuter (maintenant pas avec moi). Malheureusement, il n’est pas mieux que moi.

La différence de langue et de religion est aussi importante et il ne sait pas gagner sa vie correctement. Il ne sait pas s’administrer, il n’aime pas son travail, mais ne réussit pas à l’abandonner non plus. Il n’a plus envie d’étudier.

Ma meilleure amie disait de lui qu'il était fin et honnête. Oui, il avait été, il faudrait retrouver au moins tel qu’il était, même si je n’arrivais lui ajouter d’autres qualités. C’est difficile. Je dois les analyser plus tard.

Après mes doutes, s’était agréable de s’embrasser dans le petit parc avec Ilan, qui me ressemblait davantage, et après, c’était mieux avec Sandou : mon amour propre est remonté de nouveau.

Le 30 octobre 1957, (il y a plus de 10 ans) Sandou a demandé ma main pour la première fois. Je dus alors lui raconter que nous avions demandé notre départ du pays. « Le sort décidera », me répondit-il.

Commença alors le grand dilemme, émigrer de Roumanie ou non. Attendre, attendre l’amour, le mariage, mais combien de temps ? !

Je sentais que la vie était encore devant moi, pas comme lui, qui croyait qu’il avait déjà tout vécu. Je me souviens bien du temps où nous comptions les assiettes cassées (théoriquement.)
Et déjà, il commençait à me diminuer, me faire sentir mal dans ma peau. « Toi, jolie ? Non, aujourd’hui, tu es moche ! » me dit-il, le jour même de sa demande en mariage.

J’avais des problèmes, on ne m’a pas laissé terminer mes études, on m’a mis dehors de mon travail et interdit de tout autre travail, même manuel, maman était de plus en plus malade et déprimée, je me suis réfugiée de tout ça dans l’amour. J’étais heureuse de nouveau. Et puis, quand il le veut, Sandou a une très forte volonté. De temps en temps il est étonnamment intelligent et malin (Attention!)

Ce printemps-là, le dimanche de Pâques, je suis devenue femme, trois mois avant mes 25 ans. Mes problèmes paraissent d’un coup insignifiants et tout devient merveilleux.

Ma conclusion générale en relisant ces journaux : ma vie n'a jamais été tout miel et m'a basculé en haut et en bas. L'important est que j'ai trouvé toujours quelque chose pour m’accrocher de nouveau et regrimper, redevenir heureuse. Je dois m’accrocher à quelque chose et regrimper encore une fois.

Le neuvième journal n’était plus celui d’une jeune fille et se termine avec mon départ de la Roumanie. On ne m’a pas permis d’emporter avec moi mes journaux, mais j’ai emporté avec moi mon futur bébé, Agnès, né quelques mois plus tard à Jérusalem. Sandou n’a pu venir en même temps que nous, mais mon père a réussi à arranger pour qu’il nous suive cinq mois plus tard. Pour la naissance de notre premier enfant, nous étions ensemble, comme je l’avais toujours imaginé.

Il ne s’est passé même pas une année, depuis que j’étais femme et il avait changé, il n’était plus l’amant attentionné et chaleureux, le bon ami de nos débuts. Nous étions près de rupture.

Il y a des choses qu'on ne doit jamais raconter ! On n’a pas le droit d’être trop direct, il faut le conquérir sans qu’il s’en rende compte, contre sa logique masculine, on ne peut qu’utiliser la tactique. (Il ne voulait pas faire l’amour que si c’était lui qui décidait et me convainquait.)

Puis maman est morte. Je me sentis très seule. Mon bonheur, mes malheurs ont été tellement liés aux comportements et humeurs de Sandou. Trop. Pourquoi ? Parce que je n'avais aucune autre occupation, passion sérieuse. Maman n'était plus à mes côtés, Sandou est redevenu gentil et il était là - et je me suis mariée.

Déjà dans le premier mois de notre mariage, j’écrivais :

« Ne jette pas gratuitement tes pensés, n’aie pas toujours du temps pour lui. Sois forte ! Une âme forte impose aux hommes. On ne doit pas être toujours prêt à l’embrasser, attendre qu’il te prenne lui dans ses bras. Ou, au moins, si tu as fort envie de lui, ne lui montre pas.
Il veut être fâché ? rouspète ? est de mauvais humeur ? Bon appétit. Reste ferme."
Donc, déjà au début, tout cela me causait des problèmes.

Ne demande pas où il va, ce qu'il fait. Sois forte, joue de tactique, blesse-le parfois, sois de bonne humeur, contente, il t'admirera. Ne lui dis pas tout que tu ressens.
"Pense ce que tu veux, fais des plans et comment les réaliser. Dis à quelqu'un même si ce n'est pas vrai qu'il est bon, sérieux, intelligent - il le deviendra !" Hélas, ceci ne suffit pas, que faire ?

Des idées, puisées d'un livre de psychologie m'ont aidée alors.
Ce n'est pas le travail qui tue l'homme mais les soucis ; ce n'est pas le mouvement qui détruit le moteur mais la friction. Si quelque chose ne te plaît pas, n'y pense pas; si tu veux sentir quelque chose penses-y beaucoup.

“Je suis heureuse, je vais bien !”

Ne te laisse pas te paniquer quand tu es serré par un adversaire plus fort que toi. Souris et sois calme, quand l'adversaire s'attend à te voir abattu et découragé (mon heure viendra). Pense seulement à tes qualités, : je suis saine, tranquille et contente, tout le monde m'aime, me respecte et m'écoute !

Et déjà, j’écrivais : Si je lui parais forte il m'aide sinon, pas du tout. Rien n’a changé sur ce front. Mais forte, m’aide-t-il encore ?

Le dernier jour de mon 9e journal date de 16 mars 1961. J’avais vingt-sept ans et j'étais enceinte (d’un mois) et je quittais la Roumanie le lendemain. Agnès naîtra en octobre à Jérusalem et Sandou sera finalement avec moi, après cinq mois d’attente et séparation.

Je n'ai pas pu emporter avec moi mes journaux, les autorités roumaines ne m’en ont pas donné le droit, je ne les ai pas revues pendant sept ans, jusque maintenant. J’ai écrit beaucoup des lettres, mais depuis très longtemps je n’écrivais plus dans un journal.

Je crois que la clé de mes relations avec Sandou est dans ces mots écrits dès le début de notre mariage :
Être fort et paraître devant lui sûre de moi et volontaire. C'est seulement alors qu'il m’aide, me respecte, me soutient et m’aime.

Je suis trop vite effrayée et j'ai trop vite peur !

Julie, pas va pas vers lui, toi, attends jusqu’à ce qu’il vienne vers toi ! Ne lui pose pas des questions, attends qu'il te raconte de lui-même.

Vis intensément !
Je sais, je sais, c'est très long pour une entrée de blog, tout ma vie de 10 à 34 ans s'y déroule et je m'intérroge sur ma vie et comment m'en sortir de l'impasse dans laquelle je me trouvais. Mais j'ai décidé de les mettre ici, en entier comme je l'avais écrit "d'un coup". Je ne mettrai demain, rien pour les continuer. Donc, à après-demain.

De la décision, suite à d'autres et d'autres heurts et chagrins, jusqu’à sa réalisation, plusieurs mois se sont écoulés (et pas des événements aussi que j'ai décrite dans mes souvenirs par fragments), mais finalement « j’ai franchi le pas » et, l’automne suivant j’avais la réponse à mon questionnement : suis-je bon ou mauvaise amante.

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