11 avril 1959
Que la vie est belle !
Que c'est bon de s’éclipser comme une collégienne échappée ! Aussi, me sentir à vingt-cinq ans vraiment femme, "Juliette". Comme m’a dit maman en parlant d’autre chose : ce matin-ci, dorénavant personne ne peut me le prendre !
C’était un bonheur extraordinaire : sortir à sept heures du matin de l’hôtel. Le ciel couvert, il pleuvotait au début, mais le soleil a finalement commencé à briller, l'air était merveilleux et tout! D'un coup, j'ai été pleine de bonheur, je me sentais légère et en vacance toute comme à Budapest. Bucarest est belle, il faut seulement savoir la regarder.
Comme disait papa : tout paraît selon le point de vue dont on l’illumine. Cette fois, le réflecteur a illuminé une jeune femme en vadrouille, comme échappée de ses études, en trompant ses parents. C’est la première fois que je suis allée visiter le tribunal, j’ai réussi à passer devant le portier, mais il n'y avait aucun procès, si je voulais assister, il faudrait retourner lundi, le balayeur m’aidera à entrer dans la salle. C'est comme dans un conte de fées, n'est-ce pas ? Ensuite, je suis allée à la poste, mais la caisse était encore fermée, je n’ai pas pu retirer de l’argent. Au-dessus du beau bâtiment, les nuages étaient gris, mais les rayons de soleil réussissaient à passer de plus en plus.
Je suis retournée à l’hôtel, me suis coiffée, ensuite je suis entrée dans l'église orthodoxe et j'ai allumé deux cierges en souvenir de Mihai, ancien ami de Sandou, mais aussi pour tous nos morts. Comme le magasin Victoria venait justement d’ouvrir, je me suis baladée entre ses rayons. Quand je suis sortie, j'avais mal aux pieds. J’écris ces lignes dans la grande bibliothèque de Bucarest, pendant que j'attends les livres, elle est belle et bien organisée. Vers dix heures, je serai déjà devant la caisse de théâtre pour acheter des billets à l’opérette La reine des csardas de Kàlman.
Que la vie peut être belle ! Et de plus en plus belle ! Si on peut être si plein de joie “Seulement pour la matinée, le vert de l'herbe et les rayons du soleil”.
N’est-ce pas, j'avais bien dit que tout mal mène au bien. On m'a interdit de travailler. En plus, depuis quelque temps, mes parents ne cessent pas de me contrôler : Où as-tu été, qu’as-tu fait? Sans tout cela, "l’escapade” d’aujourd'hui n'aurait pas le même goût exquis. Je sais qu’aucun ennui n’en sortira.
Ma chère amie Aghie ! le 15 avril 1959 (lettre a ma nouvelle amie de Budapest)
J'ai enfin du papier à écrire, mais ne crois pas, que si je ne t'ai rien envoyé depuis longtemps, j'ai moins pensé à toi, ni que je t'ai oubliée. Pas du tout. En réalité, il n'y avait pas de quoi écrire.
Depuis que nous avons demandé d'émigrer [1](et même avant) il ne m’est arrivé que des événements désagréables et l’on n'a pas envie de les raconter - quand ils sont encore près. J'ai perdu mon travail et je n'ai pas pu soutenir mon diplôme d'ingénieur. Je travaille maintenant comme apprentie en collant des étiquettes sur des fioles d’essence pour briquettes, mais en même temps (et je sais que ta mère sera enchantée) j'étudie sérieusement le Français.
As-tu du temps pour étudier des langues ? Si oui, laquelle ? J'ai énormément de joie à étudier des langues et déjà j'écris à grand–mère en français.
Ces jours-ci je suis de très bonne humeur, parce que... le printemps est arrivé. Et celui-ci est spécialement beau pour moi, j'ai beaucoup de plaisir à prendre des bains de soleil, me promener et faire des excursions dans les forêts voisines... Il n'y a pas de montagnes autour de Bucarest comme à Budapest, mais il y a quand même des beaux parcs autour des lacs et de fort belles forêts - le printemps est beau partout ! En plus, maintenant j'ai le temps d'en profiter, de regarder autour de moi, de me réjouir de tout.
S'il te plaît, écris-moi sur toi, Budapest et ta maman, je me rappelle avec beaucoup de chaleur et souvent toi, votre logement et votre accueil formidable.
L'amitié comme l'amour, n'est pas une question de temps, ni de place !
Julie
[1] Rayé dans original
2 commentaires:
JEtrouve que l'on trouve dans ce passage, la Julie d'aujourd'hui, la même facon d'écrire, de penser, de raisonner ... et de trouver le soleil partout ;-)
Sophie
ps : j'ai l'impression que les coms d'hier ont disparus !!!
on change on change, mais profondément, on rest la même...
tes commentaires ne sont pas disparus! je les ai tous lu et pas touchés! ils m'ont fait beaucoup de plaisir
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