7 janvier 1959
Avec ces lignes, j'ouvre une nouvelle année. C'est bizarre, je n'arrive à écrire ni quand il y a trop des choses qui m'arrivent et me bouleversent fort, ni quand il y en a peu.
Je voulais déjà depuis longtemps le décrire et je viens de le constater : la personne qui annonce les mauvaises nouvelles en petits morceaux, lentement a raison. Annoncer qu’il est malade ; il est très malade ; il est mort, chaque fois à une journée de distance. Lentement on s'y habitue, on espère encore mais moins. Ce n'est pas bon d’assommer quelqu'un avec la vérité d'un coup.
Le premier choc est le plus dur. Et bien sûr après - quand c'est déjà passé - et que l’on commence à réfléchir à ce qui était arrivé.
Que de choses se mêlent dans mon cerveau ! Comme une mer turbulente.
Je dois recommencer à être heureuse de ce que j'ai et cesser de me lamenter sur ce je n'ai plus, comme m’a dit si bien Alina. Au lieu de pleurer sur mon travail de recherche suspendu ; mon carnet de membre de l'organisation de jeunesse repris ; au lieu de pleurer sur les problèmes avec mes études; vivre dans l’après-demain, me demander quand arrivera notre départ et est‑ce qu’il arrivera - parce que je ne pense plus à comment ce sera là bas - je dois plutôt penser au jour présent et m'en occuper.
Partir en excursion, me promener dans la belle ville, me réjouir de ne plus devoir aller remplir des fioles avec de l’essence à briquettes que deux fois par semaine, que ce travail n'est pas trop difficile et me réjouir que je suis assez adroite, me débrouille bien même dans ce travail manuel, qu'il me reste plus de temps pour m'occuper du ménage à la maison. Je devrais danser plus souvent et trouver avec qui y aller. Rencontrer le plus possible ceux d'ici ; jouir du soleil, du ciel, des chants d'oiseaux et de ma nouvelle robe. De la musique et des bons disques, de ma chambre agréable réaménagée. “Que la vie est belle”! c'est ainsi que je devrais, je dois! penser, et ne pas me tourmenter sans cesse.
Accepter ce qui existe et être heureux de ce qui est possible.
Et beaucoup est possible. Par exemple, je peux aller quand je veux à la bibliothèque centrale quand je veux au jardin botanique et à l'opéra plus souvent. J'étais tellement enchantée quand j'y allais !
Alina et Sandou me pèsent, mais je ne peux pas être méchante avec eux, et autant que possible, il faut que j'aie de la patience, de la compréhension. Moi envers eux, puisque c’est moi qui partirai et c’est eux qui restent et pas le contraire. Ils souffrent davantage que moi. Ils sont plus sensibles parce que c'est moi qui les quitte. Et attendre. Un amant, j'en trouverai aussi là-bas, et si je perds encore six ou douze mois au point où j’en suis…
Et croire à l'avenir, n’importe quoi arrive : je suis jeune, je sais et j'aime bien travailler. Je réussirai à faire face quand il le faudra.
Planifier une excursion pour ce mois. Je pourrai y aller seulement si quelqu'un peut faire la cuisine à ma place, comme maman ne se remet pas sur ses pieds, hélas. Prendre plaisir à ce joli pays tant que je peux encore. Il y a peu de pays si beaux et si riches en tout ! Je vois déjà comment je le louerai, de loin.
Et que je ne perde pas de vue, que je sache tout le temps et ne l'oublie pas, qu'il a aussi de bons côtés et que pour le moment, je vis encore bien. Ne pas tomber moi aussi dans la panique de papa ni dans les cauchemars de maman. J’ai toujours pensé plus sainement !
Me souvenir de tout ce qui m'attend cette année : l'amour. Qui sait ? C'est même possible que je me marie ! Sandou est encore jeune, il n'a que 25 ans et en réalité il est encore plus jeune. Il trouvera encore une fille qui lui convienne et il tombera de nouveau amoureux.
C’est vrai, le repos est bien, mais surtout après le travail.
Je publie aujourd'hui trois notes, pour m'en sortir plus vite de souvenir de cette période cauchemaresque. Les autres deux, ci-dessous, sont courtes.
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