12 novembre
Est-ce que grand-mère viendra nous voir ? (ps ils ne l'ont pas laissé entrer) Je pourrai demander à ce moment-là quelques jours de vacances. Me les donnera-t-on ? Je ne rencontre pas Sandou jusqu’à dimanche. C'est vrai que "ne le dis pas trop vite", comme on le dit ici. Est-ce qu'ils vont nous laisser partir ?
En relisant mon journal je me suis rappelée :
La plupart des gens me savent calme, détachée. S'ils savaient combien de lutte interne cela m’a coûté pour arriver à ça.
Ne serait-il pas mieux d’exprimer mes troubles et de ne pas me tourmenter sans cesse. Ma lutte permanente : domine-toi, reste calme, j'ai écrit ces mots il y a une année, puis encore et de nouveau. Mais peut-être la vie extérieure est ainsi. Je préférerais habiter dans une petite ville où il y a beaucoup plus de tranquillité. Comme je la désire !
En réalité, quel est mon but immédiat ? Me marier ? On ne peut pas résoudre cela comme les études. Partir, ce n'est pas mon rêve. Étant donnée la situation telle quelle est actuellement, il faut partir, partir - mais où ? En Transylvanie ? Je ne désire pas du tout aller en Palestine. Ces temps-ci, je m'étonne même quelquefois : pourquoi je me suis inscrite pour émigrer ? Je suis habituée à obéir à papa dans les choses sérieuses. En réalité, c’était probablement la cause principale.
Étrange, j'étais en crise aussi il y a une année. Mais je m'en suis sortie ! Je disais alors : "je ne suis pas faite de cette matière". Alors Julie ? Vas-y ! Va.
Heureusement, depuis lors j'ai rencontré George, le vrai. Pas le “fantasme”. Il ne m’intéresse plus autrement que comme le mari d’une copine.
Je voudrais rencontrer Sandou chaque jour. Quand il dit : « ma semaine est arrivée », ça me fait mal (il ne veut pas alors qu'on se voie pour certaines raisons.) Je serais étonnée ensuite si je le voyais avant dimanche, je m'habitue à l’idée, je ne veux même pas le voir avant. C’est un de mes bons traits de caractère, n'est ce pas. Je viens de découvrir que j'ai écrit au sujet de Sandou aussi en octobre 1957 et en mars 1958, c’est surprenant.
Je sais que je peux bien travailler, faire des recherches, j'ai réalisé davantage et mieux que les deux autres chimistes de notre groupe qui ont pourtant terminé leurs études depuis quelques années. Mais le bon travail ne compte pas ici ! Ils ne veulent pas me laisser terminer mes travaux de recherche. Je devrai lutter et malgré tout les finir (dans ces conditions.) Il faut (faudrait) avoir la force de les finir. La relecture de mon journal me fortifie et me rend confiance. Le plus important est d’être toujours content de soi.
Je crois que pour le projet de fin d’étude, c'est les chefs qui m'ont empêchée de le terminer. Si j’en étais sûre... Alors ? Je suis très fâchée contre le directeur de l’Institut[1]. Mais je réussirai à remonter de nouveau ! Et ma conscience est tranquille.
Le lac Snagov était merveilleux ! Il faudra cet été - si je suis encore ici - y retourner, nager dans le lac, faire le tour à pied. Cette après-midi j'écouterai de la musique. Il s’est avéré que Sandou m'a mieux comprise que je ne le croyais. Il est plus perspicace que je ne le pensais. Est-ce vrai ?
Ce journal, je l'ai écrit pour moi et pas pour le monde en général, comme avant quelquefois. C'est bien. Point. Puis, peut être un modique signe d’interrogation ?
Je suis trop enfantine encore en certains points, mon chef avait raison. Changerai-je un jour ? Il y a des gens qui restent, même ayant les cheveux gris, toujours enfants d’une certaine façon. Pour qui la vérité reste aussi importante que pour moi. Ou pour Sandou. Nous avons le même regard sur un tas de choses, même en politique.
C'est possible que je sois devenue amoureuse de lui parce qu'il m'aimait tellement. Comme disait Paul Géraldy (si tu m’aimais, comme je t’aimerais).
Le problème avec Sandou est que si je dis "non" une fois, il n'insiste plus. Pourtant les filles s’attendent à ça des garçons. C'est aussi vrai, qu'ainsi il ressemble davantage à mon ancien idéal des garçons : "sincérité absolue, partage complet". Peut-être c'est quand même possible ? Ma tête répond non, mon cœur dit oui.
J’ai réussi à m’apaiser.
Dans cette pièce où j’écris, il y a plein de gens, mais c’est comme si j’étais seule justement à cause de ça. Je me suis cachée derrière une affiche et ils sont occupés. En écrivant je me suis un peu soulagée. Réfléchir en écrivant était un bon médicament. Pourtant un mal de tête le remplace. C’est quand même mieux qu’avant. Est-ce à cause des yeux ?
Bon, j’y vais (parler avec cette femme!) arranger mes affaires.
J'ai parlé, demandé humblement "pardon de l'avoir ofencée" et elle m'a répondu qu'elle ne se souvient de rien. A cela, bien sûr, a suivi que mes papier "cadres" ont été "perdus" et même pour ma retraite, on n'a pas trouvé trace... de mon travail dans l'institut de recherche pendant presque cinq ans! J'ai été "gentillement" mise dehors de travail, puis plus tard... mais je raconterai cela à la suite. J'ai reçu le papier prouvant que j'y avais travaillé sur ma thèse, mais par derrière, sans que je sache encore, ils ont averti l'université que je suis "ennemi d'état"... et d'autres chagrins ont suivi dont j'étais pas encore avertie.
[1] Ancien « ami » de Cluj de la famille.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire