Finalement, il paraît que je sais être assez légère, pourtant Ilan ne me plaît pas spécialement. Sandou - Ilan - Sandou.Surtout Ilan[1]
Les mots comptent, surtout si je sais la vérité derrière eux [et en plus, Ilan est juif, il m’avait dit qu’il vaut mieux émigrer. Ce n'est pas bien de se décider ni d’agir trop rapidement, sans réfléchir longtemps et profondément. Probablement tous partiraient, s’ils osaient ou pouvaient et surtout les plus intelligents.
Il paraît que ce n'est pas seulement aux hommes que l'amour donne des ailes, quand ils sentent qu'on les aime, ce n'est pas seulement le contentement physique qui compte et l’entente, comme disait Cernasevski, mais...
Avant-hier, Sandou a déclaré : aujourd'hui c'est mercredi, on se verra seulement dimanche, je ne t’appellerai pas avant. Hier, il savait que j’allais être au travail être toute la journée et il m'a appelée là-bas l'après-midi uniquement « pour te dire : je t'adore ! » Ce n’est pas tout a fait « je t’adore » pourtant c’est près.
Et aujourd'hui, je me suis réveillée pleine d’inspiration.
Il paraît donc, que ce n'est pas seulement les poètes et les écrivains qui peuvent avoir de l'inspiration, mais les chimistes aussi. Je sais donc écrire non seulement des poèmes, mais quand j'ai de l'inspiration aussi un rapport de chimie. Je viens d’écrire 18 pages par cœur, sans m'arrêter, de 8h à 14h. Ensuite je n'en pouvais plus, bien que je n'aie pas encore terminé. Je continuerai demain, ou une autre fois. Je suis très heureuse parce que je ne croyais pas que la chimie puisse m’intéresser tellement, me passionner, qu'elle m’inspirerait autant. Mais il s’est avéré que si.
Et bien sûr - bien sûr? - je suis ravie de moi-même. Je ne sais pas si j’ai raison de l’être, si ce que j’ai écrit est parfait, mais je l'espère. La vie est compliquée et quelle bête raffinée je suis. Je ne mens pas, et pourtant je ne dis pas la vérité non plus.
Me laisser embrasser par l’un puis par l'autre !
Je ne m’en croyais pas capable. Jusqu’à la dernière minute j'ai été curieuse, le pourrai-je ou non ? Et je l'ai pu !Évidemment, je ne laisserai plus Ilan m’embrasser, il m'est encore trop étranger, il faudra d'abord qu'il tombe amoureux de moi ou me laisse en paix - en plus, il m'est resté un mauvais goût - un souvenir somme toute désagréable. Mais j'ai appris une façon tout à fait nouvelle d’embrasser qui m'a énormément excité le coin gauche de la bouche... Et ensuite, ceux de Sandou ne m'ont pas paru mal du tout, il m'a plu davantage.
Il semble que tout le monde a un sixième sens, Sandou vient de me parler d’exclusivité : "ces lèvres sont seulement à moi". C'est curieux, je n’éprouve plus le sentiment qu’il m’est étranger comme à la fin du mois. Bien sûr, ceci ne veut pas dire encore grande chose.
Ces temps-ci je me sens mieux. J’étais dans un état horrible pendant que je réfléchissais et pensais continuellement à notre départ. Bon, on verra ce que cela va donner. Je suis curieuse. Heureusement souvent, même quand c’est moi qui suis en train de cuire dans le pot, je peux regarder avec la curiosité du chimiste, que sortira‑t‑il de ça ? Ce qui m'attriste, me soucie et me torture, ce sont des affaires sérieuses, mais quand je pense combien de personnes en sont préoccupées et en parlent, les mêmes problèmes me paraissent presque amusants, ‘vus de l’extérieur’.
J'ai entendu déjà beaucoup de points de vue, je voudrais connaître celui d’Édith. Il paraît que personne ne peut échapper à son origine, sa nation, même si à partir de sa naissance on a été élevé autrement. Moi je me sentais toujours plutôt protestante et hongroise. Je viens de me rendre compte que je suis quand même juive. Mais toujours hongroise. Il parait, je le crois aussi, qu’il vaut mieux écouter les plus sages et les croire, même si tu n’es pas encore tombée dedans.
-Tes mains sont sales ? fais attention, mon pull jaune va se salir ! crie Marie.
-Et alors ? Qu'il se salisse ! On le lavera, lui répond-il.
Mais après quelques secondes il a retiré sa main et jusqu’à la fin a tenu le bras de Marie avec attention pour ne pas salir le pull.
S’il savait combien je le connais ! Je souris ironiquement : je me suis rendu compte qu’il n'avait pas trop bonne opinion de moi. Quelle patience il a : il écoute Marie rouspéter, “ne dis pas, fais attention, ne fais pas ça” etc. et ne lui répond même pas.
C'est bon d'être un peu folle. J'ai médité hier qu’heureusement je ne suis pas une 99 ou 100 % comme maman. Mais environ 85 %. Cette petite légèreté est très bonne pour moi.
Je suis probablement trop enchantée de moi, tant pis (quand la semaine dernière j'ai été mal dans ma peau, je n'ai pu écrire). Mon stylo a disparu. Où ? Je l'ai retrouvé.
J'ai commencé ce cahier, il y a un an. Je viens de le feuilleter.
Il paraît que cette année ne s’est pas passée pour rien, elle n’a pas été vide.
Il y a une année j'ai écrit pour la première fois sur George. Je suis constante. J'écris encore sur lui. Au moins, je peux discuter avec lui à travers mon journal. Pourquoi Édith n'arrive-t-elle pas! Alors j’arrêterais ces bêtises. Mais ça me fait du bien de les noter au moins.
Beaucoup s’étonnent quand je leur dis que j'écris un journal, mais cela me fait tant de bien d’écrire. Et c'est si intéressant de relire le passé. Que de choses me sont arrivées cette dernière année ! Alors, j'écrivais seulement, j’ai réussi mes examens.
Que faire avec mes journaux, si j’émigre ?
C'est risible, mais je jure, ceci est mon plus grand souci. Parce que je suis dedans et aussi mes années passées et pas seulement du papier rempli. Je n'ai pas trouvé encore un moyen intelligent de les emporter avec moi. J'ouvre mon journal n’importe où et c’est comme si c'était aujourd’hui : la blessure me heurte comme un couteau ; ou je me sens toute chaude, fière ou satisfaite, curieuse ou satisfaite, tout comme je le sentais alors. Probablement, parce que c'est encore frais. C’est possible, je le ressentirai ainsi aussi après plusieurs années.
En réalité, c'est bien ainsi : vivre dans le présent et dans le passé et ne pas attendre de châteaux en Espagne de l’avenir. Au moins espérer un peu, le cœur saignant, quelque part tout à fait profondément. Parce que sans ça on ne peut pas.
Ce soir, j'ai été très heureuse. Pensive. Contente.
[1] Je suis de nature monogame, mais cette fois, je me suis laissé embrasser par Ilan dans un petit parc vide et il embrassait si bien : je me rappelle encore, après tant d’années ce que sa langue sur le coin de ma bouche a provoqué en moi. Plus tard, je me suis demandé « qui l’a envoyé à moi, était ce pour me questionner, pour savoir mes intentions sur l’émigration ? [2] J’utilise des parenthèses droites, pour ce que je n’osais pas écrire, alors.
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