Début septembre 1953

Lettre de Sandou à Julie


St. Didier (AIN) France le 2 septembre 1963

Ma chérie,

C’est dimanche après-midi. Hier j’ai reçu ta lettre de jeudi - moi aussi je suis dans le même état sentimental que toi et je pourrais envoyer au diable toute la France et tout laisser tomber, pour être ensemble plus rapidement.

Ce matin, je me suis senti comme “avant les règles" et tu as eu de la chance que je sois seul. Je pense avec chaleur à vous deux et je n’hésiterais pas une minute à revenir, s’il n'y avait pas ces foutues illusions que je me fais.

Dès que notre fille se sentira de nouveau bien, va la promener chez tes tantes, cela sera une détente pour toi et pour elle aussi. Je ne sais pas quoi te conseiller d’autre, comme je ne sais pas quoi me conseiller à moi-même. Je ne fais rien d’autre que travailler, je le fais avec conscience et application. Je n’ai pas encore lavé mes affaires, qui traînent partout.

Avec les patrons d’ici, j’ai l’impression que pas grand-chose va en sortir. Pour le moment, ils ne m’ont pas encore établi le contrat, ni les papiers pour le permis de travail, on aurait eu besoin pour cela d’une photo, mais ils ne me l’ont pas demandée. Je me rends compte, que je devrais chercher autre chose, mais je ne sais pas ce qui me retient. C’est maintenant qu’il faudrait que je le fasse, tant que je travaille encore ici, et que l’attente ne me coûte encore que mon temps. S'il faut changer, au moins ne pas perdre trop de temps au même endroit. Le premier septembre est arrivé et s’est envolé, et à part les 300 francs d’acompte que j’ai reçus quand je suis allé voir ton père - rien. J’attendais qu’ils m’appellent hier, pour régler les comptes mais, rien, la semaine prochaine c’est moi qui devrai leur rappeler. Le pire est que je ne suis pas encore assez bien sur mes pieds, pour ‘rassembler mes jouets et ficher le camp d’ici’. J’essaierai.

Chère épouse, enfant adoré !

Il est 10 h du soir et je suis de nouveau dans ma chambre et avec toi. J’ai lu trois fois toutes tes lettres, j’ai pensé à elles et j’ai vu surtout ton impatience. Tu as raison au sujet de la persévérance et du courage, mais je considère que d’abord je dois arranger ma situation ici et seulement après faire des projets pour le futur. Il n’y a rien de changé, mais je crois qu’il faudra qu’on soit d’abord ensemble, nous ferons ensuite nos autres plans futurs. Ces derniers jours ont été pleins de pensées confuses, mais ils commencent à s’illuminer. Dommage que nous ne puissions faire un pas aussi grand que nous voudrions toute suite. Il y a besoin d’un peu de patience aussi.

Aujourd’hui, j’ai été enfin invité à la mairie pour les papiers : le permis de travail et de séjour, mais comme le secrétaire n’était pas là, j’irai demain de nouveau. Quand j’aurai ces papiers, la prolongation de mon séjour en France se réglera aussi, et alors vous pourrez venir, vous aussi.
Ce n’est pas la peine de te faire des soucis pour le chauffage, le mobilier, etc. tout va se résoudre avec le temps. J’espère que jusqu’à ce que vous arriviez, dans la maison où l’on habitera à côté du moulin il y aura de l’eau courante et aussi de l’électricité.

Tu as eu raison de m’écrire en détail, je vais ainsi penser à tout et résoudre les problèmes, l’un après l'autre. En général cela vaut la peine d’acheter les choses là-bas, sauf les produits industriels qui sont moins chers ici.
(...)
Ton mari qui t’aime fort, Sandou



Saint Didier le 3 septembre 63

Ma fillette,

Ce matin j’ai relu pour la troisième fois la lettre que tu m’as écrite. Tu es gentille, ma chère fillette, avec tes pensées et tes envies. On terminera ce divorce forcé, et espérons que quelque chose nous restera de ça, et, quand nous serons de nouveau ensemble, nous nous entendrons mieux qu’avant. À moi aussi, le temps jusqu’à notre rencontre paraît sans fin. Je crois que quel que soit le métier que nous ferons en France, ce sera quand même mieux ensemble que seul et le coût est à peu près le même, dans les deux endroits.

À propos de ce que t’a écrit Deborah , laissons le temps nous montrer ce qu’il y a de mieux, ce que ton père fera - l’un de nous a du mal comprendre le vieux. Je voudrais que ce soit moi et pas sa femme.

Il y a ici un enfant de deux ans qui me sourit de temps en temps et me rappelle notre fillette. Même si ce ne sont que deux mois depuis que je suis parti, je crois qu’elle a encore grandi. Moi aussi je lis quelquefois mal tes lettres et je me fais du mauvais sang et dans la photo que tu as envoyée, tu as des seins qui hantent mon sommeil, j’ai envie de les manger. En attendant, je t’embrasse et je mords ta peau pleine de taches de rousseur.

Je te laisse ma fille aimée, bonne nuit, je n’ai plus envie de me séparer de toi-même en écriture.

Tout l’amour pour ma chère fillette,
votre Sandou

Julie à Sandou
Cher Sandou,

J’étais à la mairie et dans une semaine je reçois la Carte d’Identité et je pourrais demander alors le Passeport, mais c’est possible seulement si tu donnes ton accord devant le Consul Israélien de Paris ou Genève, pour que je puisse porter l’enfant avec moi. Écris que toi, avec carte d’identité et passeport N°, donne le droit à ta femme JC de prendre avec elle à l’étranger, Agnès Katrin C, née à Jérusalem, le 26 octobre 1961. Essaie le résoudre aussi vite que possible et envoie-le moi express recommandé.

Je n’ai pas reçu ta lettre au sujet de la bague, j’étais un peu étonné moi aussi que tu ne m’avais rien écrit de mon anniversaire, probablement c’est perdue. Je ne comprends pas comment juste celle-ci ? De toute façon je reprendrai tes lettres, relirai, peut-être retrouverais. J’ai donné l’examen hier et tombée, je le repasse le 16 la deuxième fois. J’ai fait trop près le retour à l’arrière pour me parquer à la fin, sinon il aura dû me laisser passer. Le chauffeur qui m’apprend à conduire dit lui aussi que ça va assez bien et il était sur que je passerai. Je regret surtout l’argent.

Je ne t’écris davantage aujourd’hui, je sis dans une papeterie et je veux t’expédier ceci d’urgence, puis rentrer et m’occuper de ménage et repas. Je t’écrirai plus ce soir. J’ai reçu une lettre de Stelian et une de ta maman, je te les enverrai, elles ne sont pas avec moi.

Je t’embrasse avec beaucoup d’amour,
Judit



5 septembre 1963

Mon chéri,

Ce n’est pas facile de t’écrire comme je ne sais pas quoi je veux t’écrire. Mon premier impulse après que tu m’as écrit que je peux venir était que je suis allée faisant tout pour qu’on puisse se voir rapidement. Ensuite j’ai reçu une autre lettre, dans laquelle tu écris que bien que tu as eu l’idée à chercher un meilleur lieu (pendant que tu travailles là, cherchant tu n’as rien à perdre, seulement l’argent des lettres et si ce n’est pas possible d’y aller samedi, un jour de travail) mais tu écris que tu n’as pas le courage (pourquoi ?) ni la disposition (quand on cherche quelque chose nouveau dans la vie et il s’agit de toute la famille, je ne crois pas que tu devrais te conduire selon l’humeur du moment, surtout comme tu n’es pas tout à fait satisfait où tu es) et, ajoute-tu, te manque la persévérance. (Si nous n’aurons pas de persévérance, tu restera pour toujours à travailler là, comme tu as resté chez Roth, le premier moulin t’offrant vite vite à te prendre.)

Je crois qu’outre que conduire une correspondance t’as rien à perdre, au contraire, je ne vois pas après que tu termines tes trois mois (ou six) là-bas, à Saint Didier, pourquoi ne pas t’assurer en continuation quelque chose de mieux. En plus la différence de salaire pourrait compenser les heures non travaillées à cause de déplacement ou déménagement. Je ne sais pas comment nous pourrons meubler un logement tout en sachant que nous resterons peu de temps mais je crois qu’on peut résoudre cela. En plus, au moins jusqu’à ce que tu ne saches pas si tu recevrai une prolongation de trois mois, il n’est pas rationnel d’y aller.

Le plus sérieux point est l’enfant. Elle se sent bien extrêmement bien à l’école maternelle et même Irène l’a observé, elle est tout à fait changée depuis les quelques jours qu’elle y va de nouveau, en bien. Elle est plus gaie, rit davantage, parle énormément. Elle se lève entre six et demi et sept et demi, y va de huit à midi et demi, dort presque trois heures l’après-midi et le soir, oui, c’est vrai, se couche après huit ou huit et demi. Probablement à cause du temps, c’est un peu mieux enfin, au moins le soir et à l’aube c’est un peu plus frais. Elle a bon appétit, mange beaucoup même de viande et ce matin c’est réveillé me disant : « je veux œuf » - je lui ai fait, mou, elle a mangé presque tout. Elle est tellement mignonne!

Tout cela étant dites, rational et avec la tête, je veux te dire que je m’envolerai chez toi aussi vite que les papiers me permettront, j’ai tant désir de toi chaque jour que j’ai l’impression à ne plus supporter,

Je t’embrasse, avec désir et amour,
au revoir aussi vite que possible,
Judit
Je crois qu'il il a et il y eu des dizaines de milliers des hommes et des femmes en échangeant des lettres similaires et réfléchissant sur leur futur le coeur lourd de la séparation momentannée, d'où, j'ai l'impression viennent l'importance de ces lettres détaillées. J'ai ajouté ici plusieurs pour donner un peu le goût de l'échange, et non seulement celles que j'avais écrite, moi.

Et aussi à la place de hier, quand je n'ai pas pu en mettre aucune.

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