Les roses sur ma table dégagent un parfum agréable, j'ai enfin grossi un peu, mon visage s'est arrondi, j'ai pris un bon bain, j'ai préparé de bons petits plats pour mes parents et j'ai enseigné la géométrie. Et ce n'est pas vrai, que je deviens paresseuse (comme maman me dit), je sais éprouver autant de plaisir du travail que du repos ou de la lecture, de l'étude des langues, etc.
C’est cette joie de vivre que tout le monde devrait apprendre. Mais bien sûr, Ève a raison en disant que l'automne me paraît si merveilleux parce que je suis amoureuse. Bien sûr. Je me suis fiancée ‘officiellement’ le quatre septembre et je suis très heureuse de l’avoir fait, je sens la tranquillité et la supériorité d’une "femme légale" relativement aux autres femmes. Et en plus de ça...
Nous avons demandé à émigrer déjà il y a presque une année et je pourrais être malheureuse parce que depuis j'ai beaucoup perdu - mais malgré tout je suis heureuse, parce qu’en même temps j'ai aussi beaucoup gagné. J'ai appris le français, je lis et j'écris facilement. J’ai commencé l’anglais, j'ai déjà lu et réussi à comprendre trois romans anglais et deux pièces de théâtre, je commence même à le babiller un peu. Et l'amour et un fiancé. J'ai bonne mine, je me soigne plus qu'avant.
Hier Eugène m’a fait tant de plaisir en me disant : “J’ai une très grande considération pour toi. ” Ses paroles m'ont rappelé mon ancien moi. En réalité Sandou “m'estime, m'admire” aussi, ce qu'il m’a dit avec sincérité quand il était enivré. Il était si gentil samedi, en réalité juste un peu plus gai, plus sincère, plus chaleureux et plus enflammé que d'habitude. Il paraît que j’ai grand besoin des mots, je les buvais. Bien sûr, utilisés trop souvent, ils deviendraient moins précieux.
J'ai trouvé dans une nouvelle de Huxley quelques idées me paraissant si vraies, me faisant réfléchir sur moi-même :
Ce qu'elle désirait, ce n'était rien moins, que de s'unir totalement avec un autre être, de le connaître de fond en comble, et d'avoir la libre disposition de tous ses secrets. Seule la rencontre quasi miraculeuse de deux amours égales, de deux tempéraments qui aiment également à se confier, est capable de donner pleine satisfaction à ce désir-là. En l'espèce, il n'y eut pas de rencontre de ce genre.Effectivement je ne réussis pas à tenir en moi mes sentiments et mes pensées, par contre Sandou n'aime pas les exprimer, je m'y suis habituée jusqu'à un certain degré - mais on ne peut pas falsifier sa nature - il a cette nature-là, moi une autre. Aucun de nous ne peut le changer. Nous ne pouvons pas nous ressembler en tout. C'est impossible dans la vie vraie ou ‘quasi miraculeuse’.
Huxley dit aussi : ‘l'émotion de l'amour conditionne la marche de l'intelligence’. Est-ce que cela veut dire que je ne dois pas tant réfléchir dans l'amour ? C'est vrai.
Toujours de Huxley :
Le fait de ressentir une émotion forte nous prédispose automatiquement à ressentir d'autres émotions, quel que soit leur manque de lien apparent avec la première. Les querelles violentes se terminent souvent dans l'amour...
Il y a des moments dans toute intimité amoureuse, où des pensées de ce genre s'emparent de l'un, ou de l'autre des amants, lorsque l'amour s'est changé en lassitude et dégoût, et que l'unique désir est celui de la solitude. La plupart des amants surmontent cette lassitude momentanée, simplement en ne permettant pas à leur esprit de s'y appesantir. Les sentiments et les désirs auxquels on ne prête nulle attention meurent bientôt d'inanition ; car l'attention de l'esprit conscient en est l'aliment et le combustible. Par la suite, l'amour reprend ses droits, et l'instant de lassitude est oublié.
Je ne dois pas donner donc trop d’importance à mes sentiments de lassitude momentanés et pas m'occuper du tout quand il me semble ne plus être amoureuse de lui. Ainsi ils disparaîtront plus vite. Ils sont déjà passés, je suis de nouveau très amoureuse. Qu'est ce que c'est si ce n'est pas l'amour ? C’est vraiment l'amour.
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