18 septembre 1986
J'étais vraiment effrayée : j’ai eu un étourdissement subit dans la rue. Ai-je maigri trop vite ? Et en plus, le docteur me dit que j'ai peut‑être une tumeur à la main ; on verra bien, mais elle a déjà un meilleur aspect. Depuis quelques jours je ne sors plus. J’ai fait apporter à la maison l’imprimante Laser et je l'utilise ici. J'apprends énormément sur le PostScript, le langage avec lequel on peut la diriger, sur les polices de caractères, les niveaux de gris et même, les images. C’est fou, tout ce qu’on peut obtenir en utilisant ce langage! J'adore ! et ça me guérit.
J'aime être chez moi. J'ai l'impression que le monde m'a blessée. Ici je me sens à l’abri. Je me sens bien avec moi-même et en contact... seulement avec ceux que j'aime et qui m’aiment. Le téléphone me relie avec qui je veux. Bien sûr, je ne pourrais pas me cacher encore longtemps.
Que c'est beau de vivre ici, à la butte Montmartre ! Les lumières de la ville scintillent au loin, les branches de l'arbre devant la fenêtre sont agitées par le vent. C’est merveilleux de vivre ici, en haut, en silence. Oui, j'adore ce logement. J'y suis restée, je me suis accrochée. Malgré Lionel qui en voulait un plus grand pour avoir une chambre séparée, malgré Paul qui me poussait à déménager. J'y tiens. Et quand je tiens vraiment à quelque chose, je sais ne pas céder. C’est vrai, je me suis laissée dominer souvent.
Ces dernières années, je me suis laissée duper et je me suis lassée exploiter par Paul — mais dans les choses les plus importantes pour moi, je n’ai pas cédé. Alors, j'ai lutté, j’ai résisté, je me suis battue. J'ai rusé, j’ai contourné, j'ai tenu.
Je ne me suis pas laissée décourager et j'ai fini mes études, pendant six longues années, même si c'était seulement par correspondance, quand à cause de « l’origine bourgeois » de mes parents on m’avait interdit de fréquenter l’université. J’ai travaillé, mais en même temps, je continuais mes études.
Je me suis mariée, malgré les conseils et les protestations de mon père. Je n'ai pas avorté et j’ai eu ma fille, malgré l'émigration et ses conditions difficiles. Je ne me suis pas laissé faire au sujet de l'éducation de mes enfants, j’ai lutté pour empêcher qu’ils deviennent soumis : ils sont devenus indépendants. Je me suis arraché à mon mariage, même si tardivement, malgré qu’à l'époque, j'ai cru ma vie de femme terminée à cause de cela, j’étais convaincue que personne ne voudrait plus de moi.
J’ai tenu bon, quand on me disait : « on ne peut pas recommencer à étudier après 40 ans » et j'ai passé finalement mon doctorat.
J’ai fait tout mon possible pour rester en Amérique, mais dans cette lutte j'ai perdu. était-ce vraiment essentiel pour moi?
Je ne me suis pas découragée, longtemps, quand, à mon retour en France, on m'a affirmé : « à 47 ans, femme et d’origine pas française, vous ne trouverez plus de travail ». J'ai changé de métier, de chimie en micro-informatique, j'ai enseigné d’abord, puis j’ai créé la société Bip et je l'ai développé comme un enfant.
Je ne me suis pas laissé persuader, non plus, quand mes amies, surtout Stéphanie, me prédisaient que Paul ne serait pas bien pour moi. Je ne me suis pas laissée persuader non plus par Paul d’éloigner mon fils de Bip, quand Paul s’est rendu compte que le travail sérieux et intelligent de Lionel lui faisait ombrage.
Et quand je n'en pouvais plus, j'ai lutté et j’ai rompu avec Paul. Plus tard, j’ai été à côté d’Agnès, lui donnant courage de divorcer. J’ai refusé de continuer à souffrir près de quelqu’un qui ne m’aimait pas, tout comme Agnès, et je viens de me refaire un agréable foyer.
Je suis heureuse seule!
Faire ce que j’aime : nager, maigrir, apprendre de nouvelles choses, progresser. Lutter pour conserver ma tranquillité, recouvrer l’estime de moi‑même. Me pardonner. Tenter de mieux me comprendre. Là, j'ai encore pas mal de progrès à réaliser!
Souvent, je me laisse marcher sur les pieds et les gens croient que cela continuera éternellement ; puis ils s'étonnent énormément quand ils découvrent ce qui arrive quand l'eau déborde.
Pourquoi peut-on avoir de bonnes et fidèles amies, d’amitié durable à travers mers et vallées, à travers des dizaines d’années, mais rien, ni d'amour ni amitié durable avec les hommes? Pourquoi sont-ils si salauds?
J’espère qu’un jour j’aurai une amitié avec mon fils mais je ne dois pas trop insister puisque devenir adulte pour lui c'est s’éloigner de sa mère. Comme je l'aime, j’ai du le laisser partir, ne pas le retenir, ne pas m’y accrocher en aucune façon. Mais n'est-il pas tombé de la poêle dans le brasier ? Cela je ne le voudrais pas. Rébecca est bien et en partant de la maison, en vivant à Boston, il apprendra beaucoup de la vie et à se débrouiller tout seul.
Ai-je laissé ma fille s’éloigner de moi trop tôt?
Suis-je coupable de n'avoir pas remarqué qu'elle n'était pas encore assez mûre à dix-neuf ans?
Elle était persuadée, il y a quelques mois encore « qu'on devait tout supporter d'un homme pour qu’il vous aime ». Moi, je crois le contraire : plus on est coquette, bons stratège, volontaire, plus ils sont emballés. C'est pourquoi les hommes bons vivent avec des garces ; et à nous, les femmes gentilles, il ne nous reste que les salauds. Mais c'est difficile de se comporter en garce quand on n'est pas née ainsi, c’est dur de ne pas leur montrer tout notre amour, de les faire souffrir et douter, d'user de tactique et de stratagèmes - et d'être heureuse, en même temps.
Avec Pierre, j’avais réussi, peut-être, parce qu’au début de notre liaison je ne tenais pas encore trop à lui. Plus tard, je n'ai plus fait « semblant de ne pas vouloir », j'étais naturelle et chaleureuse, ouverte. Hélas, cet amour n’a duré qu’une seule année, une merveilleuse, heureuse année de ma vie… il y a vingt ans déjà. Non, lui n'était pas salaud.
Est-ce lui le seul homme bien rencontré dans ma vie? Mais Pierre n'était pas un bon mari, ni cultivé et probablement, au fond de moi je savais que je ne pourrais me marier avec lui, qu’il me voulait tant que je n'étais pas tout à fait disponible ; que j'aurais pu devenir une « Ana Karenine », divorcée pour un amant qui m’aurait ensuite délaissé... Notre liaison, son souvenir est resté beau, puisque interrompu, contrarié par une tierce personne. Où es-tu Pierre? Que fais-tu? Voudrais-tu devenir mon ami ? véritable comme mes amies? Tu as déjà presque 70 ans, le supportes-tu mieux que tes 50 ans?
C'est si loin et c'est si près.
Comme si c'était seulement hier, que je descendais doucement l'escalier pour te retrouver, pour me jeter dans tes bras, pour faire l'amour, dormir près de toi et revenir silencieusement à l'aube, vers cinq heures, pour être à la maison quand mes enfants se réveillaient. Tu m'a tant donné en me revalorisant comme femme ! Tu m’a rendu la confiance en moi que j'avais perdue après les nombreuses infidélités de mon mari. Je l’ai reperdue à nouveau jusqu’à mon divorce, pendant ces longues années quand j’essayais de sauvegarder « la famille », en vain.
La confiance en moi comme femme, regagnée avec Paul, au début : même si son amour était faux, moi je le croyais. Mais curieusement, maintenant, je m'en fous. Je me fiche des hommes, de ce qu'ils pensent de moi : maintenant je me plais! Je sais ce que je vaux. Le sais-je? Je suis convaincue d’être une femme qui peut, qui pourrait beaucoup apporter à un homme. Mais maintenant, c’est moi, je ne veux plus.
Jamais plus je ne laisserai un homme me dire ce que j'aime ou non! Jamais plus, je ne lui permettrais de me montrer ce qui me manque. Je le sais mieux que lui! Jamais plus je ne laisserai bouleverser ma vie, la rendre pire sous prétexte « qu’il sait mieux ce qui est bon pour moi. » Ce qui est bon, c’est de continuer à être moi-même ! Bon, c’est de me développer et vivre calmement. Bon c’est de ne pas devoir lutter.
Souffrir n’est pas bon. Non, je ne regrette pas d’avoir souffert. Cela, je le risquerai encore. Comme je l'ai dit à 18 ans : « si on ne vit pas, on végète. » J'ai le courage de vivre. Pas de sacrifier ma vie, mais de la vivre sans me cacher.
Si un jour... pas encore ! on verra, jusqu'aux... 78 ans comme ma tante Hanna. Oui, si je vis aussi longtemps, on verra... alors.
Mais réfléchis davantage ! Et crois à tes instincts!
Bonne nuit, dors bien!
1 commentaire:
que c'est bien rapporté, Julie la courageuse, la battante !!!
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